Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

CHSLD et maisons des aînés. Le nerf de la guerre: le manque de personnel

Le manque criant de personnel reste la pierre angulaire de tous les problèmes liés aux services médicaux, notamment ceux pour les aînés. Une situation d’autant plus critique quand on tient compte du vieillissement de la population.



En 2019, le gouvernement annonçait le projet de construction de 46 maisons des aînés (MDA), qui coûteront rien de moins que 2,79 milliards $, et 1,5 milliard en frais d’exploitation sur cinq ans. Avec ses 3840 places d’hébergement devant être créées, le projet critiqué ou salué, c’est selon, présentait un début de solution aux interminables listes d’attente pour une place en CHSLD, sur lesquelles l’on compte actuellement plus de 4000 personnes.

Parallèlement, le gouvernement entreprenait des rénovations dans plusieurs CHSLD, souvent vétustes. Mais au-delà du béton et des formules d’hébergement, le manque criant de personnel reste la pierre angulaire de tous les problèmes liés aux services médicaux, notamment ceux pour les aînés. Une situation d’autant plus critique quand on tient compte du vieillissement de la population. Pour l’heure, il faudra trouver 5726 employés pour les MDA, dont une grande partie proviendra du réseau, notamment celui des CHSLD, eux-mêmes exsangues. Déshabiller Pierre pour habiller Paul? Ce n’est pas ce qu’on appelle une véritable stratégie.

Rien de nouveau

Une situation inhérente à l’époque actuelle? Pas seulement. Ça fait plus de 20 ans que le Réseau FADOQ et d’autres organismes appellent les gouvernements à augmenter le nombre d’employés dans le réseau de la santé. Et disons-le, la piètre planification des ressources humaines n’est pas le seul fait du gouvernement actuel, mais bien celui d’une série de gouvernements qui se sont succédé. Une meilleure planification eut été souhaitable au cours des décennies précédentes. Mais ce qui est fait est fait. Pour renverser la vapeur, le ministre Dubé souhaite engager 27 000 personnes dans le réseau de la santé d’ici cinq ans. Un pari de taille! Surtout quand on regarde ce qui s’est passé dans le sillon de la crise sanitaire.

Devant le drame de la première vague de la pandémie, le gouvernement s’est avisé qu’il manquait au moins 10 000 employés dans le réseau des CHSLD. On a réglé en partie le problème par un programme de formation d’urgence à l’été 2020. Mais le répit aura été de courte durée, car d’une part, le gouvernement a sans doute surévalué les effets de ces incitatifs à l’embauche, et d’autre part, on s’apprête à recreuser une partie du trou avec les 5726 places pour les MDA.

Cette cannibalisation du réseau de la santé en faveur des maisons des aînés, à commencer par les autres CHSLD, touchera toutes les régions, bien que certaines davantage que d’autres, car la répartition du nombre de MDA varie d’une région à une autre. Dans les Laurentides, par exemple, qui doivent accueillir cinq nouvelles MDA, la plupart des 850 employés requis proviendront tout simplement du reste du système public, qui devra s’arranger sans eux – en pleine pénurie de main-d’œuvre!

Pour que le projet d’embauches massives du ministre Dubé fonctionne, et pour pourvoir tous ces postes, le réseau de la santé devra être beaucoup plus attractif qu’il ne l’est actuellement. Temps supplémentaire obligatoire, ratio de soignants insuffisant, blessures, le portrait actuel d’un emploi d’infirmière ou de préposé n’est guère alléchant. Mais pour qu’il le soit, il faudrait qu’il y ait plus de monde en poste… C’est l’œuf et la poule…

Par ailleurs, des organismes comme le Réseau FADOQ pointent aussi du doigt le sous-financement des services de maintien à domicile. Le manque de ressources pour permettre aux gens de rester chez eux le plus longtemps possible vient gonfler les listes d’attente et la durée de séjour dans les CHSLD. Pourtant, le coût des soins en maintien à domicile pour une personne âgée est bien moins élevé qu’il ne l’est pour une personne en CHSLD. Résultat des courses: des gens se désespèrent sur des listes d’attente, n’ont pas tous les services dont ils auraient besoin ou se tournent vers le privé, pour ceux qui en ont les moyens, sans pour autant avoir de garantie de bons services.

Photo: Depositphotos

Et les CHSLD privés?

Afin de pallier les carences du réseau de CHSLD public, le gouvernement a non seulement encouragé la création d’établissements privés, mais y achète aussi des places pour une partie de sa clientèle du réseau public, se déchargeant pour ainsi dire au privé de ses obligations envers sa clientèle. Des établissements privés qui coûtent un bras et une jambe à leurs résidents – pour des services médiocres dans plusieurs cas, comme l’a révélé la crise sanitaire.

Or, la mise sous tutelle récente de cinq CHSLD privés de la grande région montréalaise (dont les Floralies de LaSalle et de Lachine) démontre hors de tout doute que rien n’est encore réglé deux ans et demi après l’affaire du CHSLD de la mort – Herron. La cause de la mise sous tutelle: mauvais traitements. Les résidents recevaient de mauvais soins et subissaient des violences physiques.

Or, a-t-on appris dans le rapport d’enquête, cinq CIUSSS et CISSS de la région montréalaise achetaient 80% des places aux Floralies. L’affaire n’est pas anecdotique puisque cette mise sous tutelle touche également trois autres CHSLD privés – et d’autres feraient l’objet d’une enquête.

Et à la suite du rapport d’enquête mandaté par le ministre cet été, on apprend que le nœud du problème est l’absence de contrôle. Personne dans les CIUSSS et CISSS concernés ne surveillait ce qui se passait dans les CHSLD privés dont on achetait pourtant les services à prix fort. Et le peu de contrôles en place se faisait par des visites annoncées! On vient donc d’embaucher 20 inspecteurs de plus pour contrôler les CHSLD privés au moyen de visites non annoncées. On était donc devant un ministère qui délègue ses tâches sans contrôle sérieux. Hallucinant.

Pour gérer la tutelle des seules Floralies, le gouvernement a dû embaucher une gestionnaire au salaire de 150 000$ pour 24 semaines (c’est plus qu’un sous-ministre). Il doit aussi déplacer 100 employés du secteur public pour prêter main-forte à ceux des Floralies, en plus d’embaucher 60 personnes de plus par l’entremise d’agences privées. Sachant que les CHSLD privés sont censés venir en aide au public, l’ironie est patente.

Il y a tout de même une bonne nouvelle dans ce très mauvais film: rien ne changeait aux Floralies malgré dix ans de plaintes et de reportages dévastateurs. Ce qui a soudain forcé le gouvernement à agir, c’est sa nouvelle Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les personnes aînées et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité en vigueur depuis avril 2022 et qui est un peu le chant du cygne de l’ex-ministre Marguerite Blais. C’est en vertu de cette loi que le ministère a dû admettre le problème des Floralies et s’est enfin donné des moyens d’action.

Mais comme le montre cette mise en tutelle, les CIUSSS et les CISSS devront aussi régler les problèmes des CHSLD privés qui cannibalisent le reste du réseau. Comme pour les MDA. Non, on n’est pas sorti du bois! Vivement les 27 000 nouveaux employés du ministre Dubé… Souhaitons que le ministère sache faire preuve de créativité pour les attirer. Ce n’est pas gagné.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.