Bombardier bombardée
C’est peu dire que Bombardier en arrache. Ses difficultés à faire décoller sa nouvelle famille d’avions, la Série C, sont telles qu’à l’automne, Québec a dû investir, par l’intermédiaire de deux ententes distinctes, près de trois milliards de dollars pour renflouer le géant menacé.
D’où le tollé soulevé par l’annonce récente de Bombardier de licencier 10% de son personnel, soit 7 000 employés, dont le tiers au Québec. Les chefs du PQ et de la CAQ ont bien raison de demander des comptes.
Mais pour ce que l’on en sait, Québec n’a peut-être pas fait une si mauvaise affaire – même si on peut croire, a posteriori, qu’il aurait pu faire mieux.
La première entente a pour effet de sortir les activités de la Série C pour les transférer dans une société en commandite (SEC). Contre la promesse d’y investir un milliard de dollars américains, Québec s’est négocié une part de 49,5% dans la SEC. Le gouvernement a également obtenu que les brevets et certains actifs immobiliers y soient transférés. Bombardier s’est engagée à y verser des liquidités importantes, équivalant à la somme investie par Québec.
En d’autres termes, si la SEC Série C se plante, les partenaires perdront leur mise, mais le reste de Bombardier aura été mieux protégé et Québec pourra récupérer quelques billes. Mais si la SEC Série C est un succès, le gouvernement récoltera une part bien plus grande des bénéfices, puisque ses actifs seront moins dilués que dans l’ensemble du capital de Bombardier.
Québec n’aurait-il pas plutôt dû investir la même somme dans Bombardier Aéronautique, comme le suggère PKP? Peut-être, mais son capital ne lui aurait pas valu 49,5% des parts, surtout que les actions à votes multiples de la famille de Bombardier diluent le pouvoir des autres actionnaires de Bombardier, alors que les règles sont différentes pour la SEC.
La seconde entente émane en fait de la Caisse de dépôt et placement, qui a investi 1,5 milliard de dollars dans un holding, BT Holdco, qui concerne les actifs de transport, où elle détient plus de 30% des actions. Cela lui donne trois sièges sur sept au conseil d’administration et le contrôle sur le budget et sur la nomination du PDG. C’est en soi une excellente manœuvre, puisque cela réduit la mainmise de la famille Bombardier-Beaudoin sur cette partie des activités de Bombardier, qui est effectivement sortie de Bombardier.
En clair, la véritable Bombardier n’est plus ce qu’elle était. Les transports sont gérés séparément et la Série C aussi. Le contrôle absolu de la famille Bombardier-Beaudoin se résume désormais aux avions d’affaires, régionaux et amphibies. Pour le reste, les héritiers de Joseph-Armand Bombardier devront transiger avec le partenaire qui a renfloué la compagnie.
L’entente du gouvernement et celle de la Caisse auraient-elles pu être meilleures? Sans doute, mais il est facile de jouer les gérants d’estrade. Au moment de les négocier, la débâcle boursière de Bombardier n’avait pas encore eu lieu. Avec du recul, il est même évident que ce sont les manœuvres du gouvernement qui ont en partie provoqué la baisse du prix des actions de Bombardier.
Les mises à pied étaient-elles évitables? Certaines, peut-être, mais pas la majorité. Les sommes investies par Québec constituent une réserve de liquidités pour le développement des affaires: elles ne visent pas à corriger tous les problèmes de Bombardier.
Le fait est que Bombardier est prise entre le marteau et l’enclume. Créer de toutes pièces une nouvelle famille d’avions a coûté très cher: 5,4 milliards de dollars, deux de plus que prévu. La concurrence s’avère brutale. Le marasme depuis 2008 ne s’est pas estompé. Et les prix du pétrole, au plus bas, ne favorisent pas les ventes de la Série C, qui se veut d’abord un appareil économique! Bombardier s’est trop investie pour reculer. Avec 288 avions commandés, ce n’est pas la catastrophe, mais il en faudra encore au moins autant pour qu’elle fasse ses frais – en 2020, espère-t-on.
Ceux qui qualifient les investissements du gouvernement et de la Caisse de «BS corporatif» sont un peu vites en affaires. Québec ne pouvait pas laisser aller Bombardier. Les enjeux dépassent largement l’entreprise. Montréal est un des trois grands centres aéronautiques mondiaux avec Toulouse et Seattle. Encore davantage que l’automobile, l’aviation est une gigantesque machine économique dont les retombées sont faramineuses en emplois et en innovations de toutes sortes. Bombardier Aéronautique fait marcher plus de 600 fournisseurs au Québec.
Québec se devait de soutenir Bombardier pour les mêmes raisons que l’Ontario l’a fait pour son industrie automobile en 2008. La question des prochaines semaines sera de voir si le fédéral sera aussi généreux pour l’aéronautique québécoise qu’il l’a été pour l’automobile ontarienne.
L’implication de Québec corrige en fait une anomalie. Tous les gouvernements soutiennent lourdement leur industrie aéronautique – sauf au Canada. L’aide publique à Boeing est de l’ordre de 50%, et un peu moins chez Airbus. Avant l’automne dernier, l’aide publique à Bombardier n’était que de 16%. Sans soutien gouvernemental, Bombardier, Montréal et le Québec ne pourraient pas jouer longtemps dans la même ligue qu’eux.