Attentat de la mosquée de Québec

Parallèles troublants

On ne servira pas les victimes de l’attentat de la mosquée de Québec si on omet de rappeler que ce crime haineux comporte plusieurs parallèles troublants avec le massacre de Polytechnique.



Il y a 28 ans, 14 jeunes Québécoises exemplaires étaient assassinées à l’École Polytechnique, crime qui eut lieu dans une ambiance antiféministe généralisée, et dans un lieu hautement symbolique du pouvoir mâle.

Depuis le 29 janvier 2017, les Québécois doivent digérer un autre crime haineux et raciste, commis contre des Québécois dans un lieu tout aussi symbolique, sur fond de discours ambiant islamophobe de plus en plus répandu et de plus en plus banalisé.

De même que la misogynie persiste parce qu’on tolère le sexisme envers les femmes sous toutes ses formes, la haine raciale fermente parce qu’on laisse s’exprimer toutes les opinions sur l’autre, en particulier l’islamophobie la plus primaire.

La haine a fermenté au Québec parce qu’on s’est obstiné à croire que nos extrémistes sont plus gentils que les autres extrémistes alors qu’ils sont au contraire aussi dangereux et primaires. Et parce que ceux qui étaient en mesure de stopper le cancer de la haine et de l’intolérance n’ont pas compris que ne rien faire, c’était laisser-faire, nous pleurons aujourd’hui les victimes de notre propre indolence collective.

Le seul mérite d’une catastrophe semblable est de susciter une occasion de faire un peu d’introspection. Certes, «Plus que jamais, faut qu’on se parle», comme l’écrivait François Cardinal dans son éditorial de La Presse+ du 30 janvier. Mais il n’y a pas tant de choses à dire: c’est plutôt le temps d’agir. Voilà ce dont nous avons besoin.

Car ce crime n’arrive pas comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Depuis Hérouxville, cela fait dix ans — presque jour pour jour — qu’on laisse une petite minorité vocale véhiculer la haine de l’autre sur toutes les tribunes. Depuis dix ans, les propriétaires de journaux et de radios poubelles laissent leurs chroniqueurs et animateurs vedettes faire du clic sur le dos des musulmans ou des Arabes. Les pages «commentaires» et les réseaux sociaux sont devenus des exutoires épouvantables d’intolérance où on laisse les trolls intimider les journalistes et les lecteurs de bonne volonté.

N’importe quel journaliste québécois peut témoigner que depuis quelques années, il était difficile de décrire les musulmans au Québec en termes neutres sans susciter une vague de courriels fielleux. Aucune rédaction n’aurait dû publier ces réactions sans une mise au point sévère sur le thème: «Vous devriez avoir honte.»

Même malaise quant aux propos moisis de politiciens étrangers comme Marine Le Pen (héroïne d’Alexandre Bissonnette) et de Donald Trump (son nouveau chevalier): on les laisse épancher leur fiel dans les cerveaux impressionnables sans mise en garde ni censure. «Y disent les vraies affaires!»

Que d’occasions ratées!

Guerre à l’intolérance

Il faut un haut-le-cœur collectif contre l’intolérance et qu’on lui donne ce qu’elle mérite: le silence ou la honte.

Il faudra réapprendre, collectivement, la tolérance.

La tolérance, ce n’est pas nécessairement l’amour. Mais c’est accepter tout simplement que l’autre peut être, même si — surtout si — sa différence nous choque.

La tolérance consiste à discerner si l’autre empiète ou pas. Les droits des gais ont avancé quand on a compris que les gais ne demandaient à personne de l’être. C’est cela, la tolérance.

La vraie tolérance n’est jamais passive, elle doit être active. La tolérance, ce n’est pas «laisser faire». La tolérance doit pouvoir agir contre la seule chose qu’elle ne peut tolérer: l’intolérance.

Des psychopathes, des sociopathes, il y en aura toujours. Ce n’est pas une raison de laisser faire et d’entretenir un climat dans lequel les violents et les haineux, se croyant légitimés par le discours ambiant, prolifèrent et explosent en faisant des morts, des orphelins et des estropiés, semant la peur et la désillusion.

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Justin peut mieux faire

Nos politiciens ont bien sûr un exemple à donner. En particulier ceux dont le fonds de commerce est de souffler le chaud et le froid dans le débat identitaire. Que l’on songe à Jean-François Lisée, qui a écrasé son principal opposant à la chefferie péquiste en faisant courir de fausses rumeurs de nature islamophobes à son endroit. Et encore avant-hier, François Legault qui disait sur TVA (tiens donc) qu’il n’y a pas de courant islamophobe au Québec. Voyons donc!

Justin Trudeau n’aurait jamais dû accepter les condoléances obscènes d’un Donald Trump ni laisser son porte-parole récupérer l’attaque de Québec pour justifier sa politique anti-musulmane. D’autant que l’auteur de l’attentat, Alexandre Bissonnette (grand admirateur de Marine Le Pen qui s’intéressait beaucoup aux propos de Trump), était le type même de l’ultra qui s’est autoradicalisé en s’abreuvant à la mamelle de l’internationale populiste.

Certes, alors que le président Trump veut interdire les ressortissants de sept pays musulmans, Justin Trudeau a eu l’élégance de dire que le Canada restera une terre d’accueil. Mais il faudra aussi que notre premier ministre se dresse et lui dise de changer de disque.

Si une Marine Le Pen ou un Donald Trump sont capables de semer le meurtre à distance chez nous en décomplexant la xénophobie et en libérant le racisme par leurs seuls propos, la politique d’accommodement de Justin Trudeau à l’égard du président Trump est parfaitement d’une coupable faiblesse.

Il faudra bien que l’on se décide à appeler un chat un chat. Et il faudra que ceux qui ont la responsabilité de dire les choses cessent de donner du temps d’antenne, des pages de journaux et de la publicité gratuite à ces crispés de l’identité et aux nationaux-populistes (les «napos»? les «napus»?). Qu’ils s’enroulent dans le fleurdelisé, le tricolore ou la bannière étoilée, ils ont tous le même effet.

L’intolérance, c’est fini.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.