Amenez-en, des Mitch Garber!
On a beaucoup rapporté les propos sur la langue de Mitch Garber, mieux connu comme «l’anglo des dragons» pour sa participation à l’émission de téléréalité Dans l’œil du dragon. Mais ce n’était en fait qu’un bref aparté dans une conférence prononcée au Cercle canadien sur la culture entrepreneuriale québécoise et qui aurait pu s’intituler: «Les entrepreneurs sont de retour!»
Mitch Garber est parti d’un constat rarement souligné: Montréal et le Québec sont un terreau très fertile aux entreprises, dont certaines connaissent un succès phénoménal. Couche-Tard, par exemple, tire un chiffre d’affaires consolidé de 50 milliards de dollars! Sur le plan des revenus, l’entreprise bâtie par Alain Bouchard est même la plus grosse au Canada — point barre. Plus grosse que Bell ou Rogers. Plus grosse même que Coca-Cola, Pfizer, Fedex ou Cisco. «Alain Bouchard est meilleur à ce qu’il fait qu’un Carey Price et Carey Price est très bon», dit Mitch Garber en boutade, lui qui est un grand amateur de sport, en citant également les CGI, Saputo, et autres Bombardier.
Fait intéressant, l’indice entrepreneurial de la Fondation de l’entrepreneurship ajoute du relief à ces propos. Cette étude montre que l’entrepreneuriat est même plus dynamique en région que dans les grands centres. L’exemple le plus patent est sans doute Québec, qui n’allait pas très bien il y a 20-25 ans et qui est pétante de santé actuellement — en très grande partie parce que cette ville de fonctionnaires s’est occupée de ses entrepreneurs.
Contrairement à ce qu’affirme Mitch Garber, les Québécois sont de plus en plus à l’aise à parler d’argent. Cela ressort fortement du nouveau livre Le Code Québec publié par Jean-Marc Léger, Pierre Duhamel et Jacques Nantel. Parmi les sept grands traits qu’ils identifient, le plus étonnant est bien que 79% de la population considère l’entrepreneuriat comme un bon choix de carrière — une statistique impensable il y a une génération.
Mitch Garber a cependant raison de dire que l’on a trop ignoré les entrepreneurs. Ignorer au sens de ne pas le savoir. Et ignorer au sens d’indifférence. Ce qui revient à s’ignorer, collectivement. Le grand problème de l’entrepreneuriat est l’espèce de myopie collective que nous avons: il est là, mais on ne le voit pas; et quand on le voit, on choisit de passer outre.
Nous sortons en effet d’une très étrange période de myopie collective. Entre 1970 et 1990, les médias québécois célébraient leurs entrepreneurs à tour de bras, parfois trop. Mais ceux-ci ont cessé d’être des figures publiques pendant les 20 années qui ont suivi, jusqu’à devenir quasi invisibles. On en sort à peine.
Il est difficile d’expliquer la nature du retournement qui s’opère à nouveau. Mitch Garber est la coqueluche du public québécois depuis avril 2015 — au moment de son apparition à Dans l’œil du dragon. Cette émission de téléréalité est l’une des rares en son genre à faire œuvre pédagogique utile en amenant des milliers de familles à considérer des entreprises plutôt que les statistiques de hockey. D’autres dragons sont d’ailleurs devenus des personnalités publiques sympathiques tels Danielle Henkel, Alexandre Taillefer et Martin-Luc Archambault.
La revalorisation de l’entrepreneuriat qui a cours actuellement au Québec est sans doute l’antidote le plus efficace contre les angoisses liées à la mondialisation.
Depuis deux ans, les médias se sont beaucoup apitoyés sur le sort de Rona, du Cirque du Soleil et des Rôtisseries Saint-Hubert alors que, sans qu’on en parle trop, les entreprises québécoises réalisaient trois fois plus d’acquisitions que de ventes. Qui sait, par exemple, que l’ancienne Genivar rebaptisée WSP Global est devenue en quelques années le quatrième plus grand cabinet de génie-conseil au monde? Cette croissance, l’entreprise l’a réalisée grâce à 142 acquisitions, rien de moins!
Bref, les entrepreneurs québécois ne sont pas des moutons: ils sont créatifs et voraces. Et ils développent des sièges sociaux qui embauchent le personnel le mieux payé de chaque entreprise et qui génèrent une très forte économie secondaire à travers leurs consultants, leur activité financière, leurs recherches, les services divers et la philanthropie.
C’est en ce sens que l’intervention de Mitch Garber était la plus originale. Selon lui, les entrepreneurs ont une mission sociale, qui va très au-delà de leur vocation à faire fructifier leur capital. Ils développent leur entreprise pour la société et ils doivent redonner à cette société. Pas seulement en impôts, mais à travers la philanthropie d’entreprise — sous-développée au Québec — et leur propre action sociale.
Au fond, le défi québécois n’est pas tant de développer l’entrepreneuriat: il l’est déjà. Mais le public doit acquérir une meilleure connaissance des réalisations entrepreneuriales, ET les entrepreneurs doivent consacrer leurs énergies et leur argent à améliorer leur milieu.
L’idée n’est pas ici de tomber dans l’affairisme ni de glorifier ce qui ne le mérite pas. Les entrepreneurs sont loin d’être tous des anges. Leurs intérêts ne sont pas toujours alignés sur le bien public. Ils vont même parfois contre: on a vu la pourriture à l’œuvre à la commission Charbonneau.
La base est là. On n’a pas encore trouvé de meilleure manière de créer de la richesse qu’une entreprise et c’est une chose pour laquelle le Québec n’a de leçons à recevoir de personne. Disons-le.