Mort du créateur et mécène Daniel Langlois (1957-2023): le Québec en deuil d’un visionnaire
Fin tragique pour l’homme d’affaires et philanthrope montréalais Daniel Langlois.
Vendredi dernier, son corps et celui de sa femme, Dominique Marchand, ont été retrouvés calcinés dans leur voiture, en Dominique, où ils s’étaient installés pour développer un luxueux complexe hôtelier écologique, le Coulibri Ridge Resort. La police locale aurait procédé à l’arrestation de suspects dans ce qui ressemble à une querelle de voisinage. Cette vengeance contraste avec l’engagement social et économique dont le couple a fait preuve dans le développement de l’île de la Dominique, notamment après le passage de l’ouragan Maria en 2017.
Même s’il était moins présent dans notre actualité ces dernières années, Daniel Langlois demeure une figure majeure du développement culturel de Montréal. Il a été à la fois un créateur, un inventeur, un mentor, un entrepreneur, et un mécène.
Qu’on se rappelle de l’impact que le film d’animation Tony de Peltrie, auquel il a été associé à l’ONF et à l’Université de Montréal, a eu sur la réputation de Montréal, aussitôt devenue le vivier de la création d’animation de synthèse dans le monde. La fondation de Softimage qui s’en est suivi a décuplé cette notoriété lorsque des films comme Le Parc Jurassique et Titanic ont utilisé le logiciel développé par Langlois. L’établissement de son entreprise sur le boulevard Saint-Laurent, angle Milton, a donné un élan formidable à ce secteur de la ville.
Lorsqu’il vend Softimage à Microsoft pour la somme de 200 millions $, il crée une fondation à son nom, qui contribuera au développement de nombreux projets à Montréal. Le cinéma Excentris est un de ceux-là. Trois salles modernes (Parallèle, Cassavetes, Fellini) où les cinéphiles ont rendez-vous avec le meilleur du cinéma d’auteur international. L’établissement, d’un grand raffinement architectural, comptait aussi le mémorable café Meliès, dirigé par le très sympathique Paolo Oliveira. Daniel Langois savait s’entourer de gens rigoureux à tous les échelons.
Le cinéma a été la discipline de prédilection de ce créateur. Son ami François Girard aime dire que Langlois a propulsé le 7e Art dans l’avenir, que son apport a été aussi majeur que l’invention du film en couleur.
La fortune que lui a value la création de son logiciel, il en a fait profiter à beaucoup de monde. Il a sauvé le cinéma Parallèle, racheté le Cinéma du Parc qui battait de l’aile, on le retrouve aux côtés du Festival du nouveau cinéma qu’il maintient en vie, il crée un marché international du cinéma numérique. Il produira même des films boudés par les grands subventionnaires que sont Téléfilm et la Sodec. Il sera derrière le financement du film de Robert Lepage La face cachée de la lune, d’Amelia d’Édouard Lock.
Plusieurs artistes et événements nichés ont aussi bénéficié de son mécénat: Luc Courchesne, Marie Chouinard, Michael Snow, Jana Sterbak, Rafael Lozano-Hemmer, Images du futur de Ginette Major et Hervé Fischer. Je me risque à ajouter Stéphane Cocke qui a produit quatre formidables disques de musique lounge, les fameux Café Méliès.
On doit aussi à Daniel Langlois la restauration impeccable de l’ancien édifice des Commissaires du 357 de la Commune, malheureusement inoccupé aujourd’hui. Le récit de la requalification de ce bâtiment historique pour en faire un club social privé démontre son goût pour les choses bien faites. Dans ses projets immobiliers, il aura offert l’opportunité aux entrepreneurs et artisans du Québec de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Daniel Langlois était un esthète et un visionnaire. Comment oublier les fameux guichets du cinéma Excentris qui nous obligeaient de transiger avec un préposé dans un écran? Les fameux hublots! C’était avant le téléphone intelligent. Ça a fait pester beaucoup de monde, qui trouvait ça froid et péteux. Moi, j’ai toujours aimé cet endroit à nul autre pareil à deux pas de chez moi.
Comme journaliste, il n’était pas facile de transiger avec Daniel Langlois, souvent retranché dans sa tour d’ivoire du 3536 boulevard Saint-Laurent. Heureusement, il a longtemps eu Sylvie Deslauriers comme attachée de presse pour adoucir son image. Ceux qui comme elle connaissait bien le personnage disent qu’il n’était pas froid et distant, mais réservé, pudique et immensément généreux.
Beaucoup de ses projets se sont malheureusement terminés en queue de poisson, mais je garde personnellement plusieurs bons souvenirs de ses réalisations qui ont élevé le niveau de ce qui se faisait à Montréal. On pourrait dire que Phoebe Greenberg est dans la directe ligne de l’œuvre de Daniel Langlois.
Sa mort, à 66 ans, est une bien triste nouvelle et une grande perte pour Montréal. Le Québec n’a pas les moyens de perdre, dans des circonstances aussi atroces, une personne de ce calibre, avec ce genre d’exigence, et aussi généreux pour la culture.