La gériatrie sociale: préserver l’autonomie des personnes âgées dans leur communauté
Imaginez-vous un monde où les proches, les voisins, les intervenants, et d’autres seraient en mesure de soutenir les aînés au sein même de leur communauté et capables de les aider à obtenir rapidement de l’aide quand elles en ont besoin, tout en respectant leur volonté. C’est vers cela que tend la gériatrie sociale. Portrait d’une initiative inspirante qui permet à des personnes âgées de rester plus longtemps à domicile et qui ne demande qu’à prendre de l’ampleur.
La gériatrie sociale est née il y a quelque 10 ans à l’initiative du Dr Stéphane Lemire, un gériatre qui, lassé d’avoir devant lui des patients pour lesquels, souvent, il ne pouvait pas faire grand-chose parce qu’il les voyait trop tardivement, a décidé de laisser l’hôpital pour se consacrer à la recherche de solutions. «Les gériatres sont peu nombreux, dit-il. Je voulais que leur expertise devienne accessible au plus grand nombre sans pour autant qu’ils aient, eux, à devenir plus disponibles.»
Inspiré par sa grand-mère – une femme qui, raconte-t-il, a eu une belle vieillesse grâce à un contexte favorable –, le Dr Lemire a vite commencé à parler de son projet autour de lui. Intéressé par celui-ci, le Service amical basse-ville, un organisme à but non lucratif (OBNL) de Québec, l’a invité à s’installer dans ses locaux afin qu’il puisse lui donner vie. «Nous avons ainsi pu construire quelque chose avec des gens qui étaient déjà sur le terrain plutôt que de le faire dans un bureau, loin de la base, dit-il. Et ça, en soi, c’est intéressant.»
S’en est suivi, en 2016, un premier forum sur la gériatrie sociale et, deux ans plus tard, la création de la Fondation AGES – dont le médecin préside aujourd’hui le conseil d’administration. Au fil des ans, cette fondation a permis à 17 initiatives de gériatrie sociale de voir le jour. Chacune est portée par un organisme hôte, souvent une entreprise d’économie sociale en aide à domicile (EÉSAD). Chaque organisme est accompagné par la Fondation AGES et bénéficie d’un financement (public ou privé).
Trois principes
À la base, la gériatrie sociale repose sur trois principes. Le premier est l’intervention de proximité – les personnes qui œuvrent auprès des aînés sont les mieux placées pour sonner l’alarme si quelque chose ne va pas. Vient ensuite le renforcement de ce qui se fait déjà dans la communauté – pourquoi inventer quelque chose de nouveau si ce dont on a besoin existe déjà? Enfin, troisième principe et non le moindre: le respect du droit et de l’autodétermination des aînés. «Souvent, au nom de la sécurité ou de toutes sortes d’autres raisons, on impose indirectement nos volontés aux personnes âgées, dit Stéphane Lemire. Mais dans les faits, c’est à la personne de décider. Et si ce qu’on lui propose n’est pas ce qu’elle veut, il faut en tenir compte.»
… et une équipe
Les initiatives de gériatrie sociale fonctionnent essentiellement grâce à une équipe formée de trois personnes, soit une sentinelle – qui sonne l’alarme –, un navigateur – qui évalue la situation et propose des solutions – et une infirmière – qui fait le lien entre l’organisme hôte et le système de santé. Cette dernière, une employée du CISSS ou du CIUSSS, travaille généralement dans les locaux de cet organisme quelques jours par semaine.
Dépister le problème
À la base, la sentinelle est une personne qui, dans le cadre de son travail ou autrement, a l’occasion de côtoyer des aînés sur une base régulière – il peut s’agir d’un préposé à l’aide domestique ou encore d’un bénévole qui livre des repas ou fait du transport médical, par exemple –, ce qui la rend particulièrement bien placée pour repérer les situations qui posent problème. Et c’est justement cela, son rôle: être attentive à ce qui ne va pas et lancer des alertes au besoin.
«Tous les préposés que nous engageons reçoivent une formation sentinelle, dit Julie Champagne, qui travaille comme navigatrice à la Coop Autonomie chez soi, située à Granby. Cela les aide à avoir l’œil plus ouvert. Si une personne est désemparée, ce qui arrive parfois, la préposée qui a reçu une telle formation va s’en rendre compte et être en mesure d’intervenir avec bienveillance. Par exemple, elle va dire à cette personne qu’elle est inquiète pour elle et lui demander si elle accepte qu’elle parle de sa situation avec l’équipe de gériatrie sociale.»
Pour acquérir les connaissances lui permettant de savoir quand il est opportun d’agir, la sentinelle aura préalablement suivi une formation – celle-ci est notamment offerte par la Fondation AGES. Elle y aura appris comment faire la différence entre le vieillissement normal et le vieillissement accéléré. Elle y aura également apprivoisé l’outil AINÉS AD-PLUS, un aide-mémoire qui permet d’avoir à portée de main les éléments à considérer avant de sonner l’alarme. Tout cela est essentiel pour qu’elle puisse agir au bon moment.
Trouver des solutions
Lorsque la sentinelle constate que quelque chose ne va pas, elle se tourne vers un navigateur – appelé ainsi parce qu’il «navigue» à la recherche de solutions. Ce professionnel a une formation appropriée – il peut être travailleur social ou ergothérapeute, par exemple. «Un bon navigateur sera capable d’observer, d’écouter et de créer des liens de confiance», dit Julie Champagne. Engagé par l’organisme grâce à des fonds provenant de la Fondation AGES, il a comme mandat de recevoir l’alerte lancée par la sentinelle (et parfois directement de personnes qui sont en contact avec l’aîné), de se rendre sur place pour l’évaluer – toujours en se référant à l’outil AINÉS AD-PLUS –, puis d’agir en conséquence.
Les interventions du navigateur peuvent être multiples. Il y a risque de chute à cause d’une carpette mal placée? Il suggérera de l’enlever. Il constate une légère perte de mobilité? Il trouvera une canne – sans doute en se tournant vers la Fondation AGES, qui prête certains équipements –, puis proposera de suivre un programme d’activités physiques approprié. Il apprend que l’aîné a généralement du mal à se rappeler ce que lui dit son médecin? Il lui donnera des conseils ou l’accompagnera lors de sa prochaine visite médicale. «Grâce à la gériatrie sociale, il est possible de faire, en amont, des interventions concrètes qui améliorent l’environnement et la vie de l’aîné», dit le Dr Lemire.
Intervenir
Par contre, si le navigateur constate une situation préoccupante – un aîné fait des chutes fréquentes ou semble être confus, par exemple –, il se tournera vers l’infirmière, qui évaluera la condition physique et mentale de cet aîné. Si cela s’avère nécessaire, celle-ci le dirigera vers le service approprié ou vers un autre professionnel. «En général, nous avons une belle collaboration des acteurs du réseau», dit Marie-Josée Girard, navigatrice au Service amical basse-ville.
Accès à la gériatrie sociale
Pour savoir si une antenne de gériatrie sociale existe dans votre région, consultez la liste des 17 initiatives de gériatrie sociale. Malheureusement, on ne retrouve pas encore de telles antennes dans toutes les régions, quartiers ou villes du Québec. Cependant, dans certaines régions, des formations sont données à des acteurs de la communauté, comme le livreur de la pharmacie ou d’autres personnes ayant un lien régulier avec les aînés. Le Dr Lemire ainsi que les personnes impliquées en gériatrie sociale rêvent du jour où tous les aînés du Québec auront accès à de tels services. Au moment d’écrire ces lignes, il attendait des nouvelles du gouvernement au sujet d’un plan de déploiement sur cinq ans qui pourrait permettre de développer la gériatrie sociale dans les 93 réseaux locaux de services (RLS). Et il espérait pouvoir par la suite améliorer son financement provenant de fondations privées.
Des outils
En attendant que tout cela se réalise, la Fondation AGES offre des formations sentinelle aux personnes qui, d’une manière ou d’une autre, sont en contact avec des aînés et propose des midis-conférences sur divers sujets susceptibles de les intéresser. De plus, via son Laboratoire d’Innovation en Santé des Aînés (LISA), elle lève le voile sur plusieurs problématiques auxquelles font face les aînés – comme le transport médical, l’usage (approprié ou non) des médicaments et la santé auditive. Cela lui permet de présenter un portrait juste de diverses situations que vivent les personnes âgées et d’élaborer des pistes de solutions. Voilà autant de réalisations fort pertinentes qui permettent d’agir au moment opportun, ce qui comporte d’énormes bénéfices pour les aînés.
AGIR pour bien vieillir, une nouvelle plateforme
En février dernier, la Fondation AGES, de concert avec la Fondation de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), lançait la plateforme en ligne Agir pour bien vieillir. Cette ressource permet aux aînés et à leurs proches de mieux comprendre leur état de santé, de savoir quand il faut s’inquiéter de signes précurseurs et consulter, et comment se préparer à un rendez-vous médical.
Attention, il ne s’agit pas ici d’autodiagnostic, mais plutôt d’outils pour dépister les problèmes et bien y réagir. Le microsite agirpourbienvieillir.com, qui permet l’auto-analyse de l’état de santé des personnes aînées, comprend quatre volets: (1) planifier des actions pour prévenir un vieillissement accéléré; (2) repérer les signes d’une détérioration de la santé; (3) réfléchir à l’importance d’agir et de consulter; (4) préparer les rendez-vous avec un professionnel de la santé.
Pour plus d’infos: agirpourbienvieillir.com
Pour la gériatrie sociale: Fondation AGES geriatriesociale.org