Livres de la semaine
Vaste comme la nuit, Elena Piacentini
« Les honnêtes gens mentent comme les autres, mais pour d’honnêtes raisons. » Vaste comme la nuit, page 11.
Depuis les romans noirs de Dashiell Hammet et l’émergence des auteurs scandinaves, le polar prend de plus en plus des allures de genre majeur où la panoplie des problèmes sociaux ouvre des portes sans fin au génie créateur des auteurs et autrices. Les romans policiers classiques, comportant un crime, un policier et une enquête sont de moins en moins fréquents. Ainsi, le lecteur de polars devient de plus en plus exigeant ; il s’attend à plus de complexité, à des personnages qui ont de la profondeur (et un passé) et à des thématiques multiples et corsées.
Elena Piacentini nous offre, dans Vaste comme la nuit, un très bon exemple de polar contemporain et complexe. Roman policier d’abord, car Mathilde Sénéchal est une vraie enquêtrice, respectée par ses collègues malgré son côté austère, à la limite de la rigidité. Mais aussi roman psychologique par la qualité de l’analyse approfondie des comportements et du passé de ses personnages.
À 9 ans, le 24 juillet 1987, Mathilde subit un traumatisme sévère à la suite d’un accident de vélo, ce qui lui fait oublier un événement important arrivé durant cette journée. Ce même jour, Jeanne Bihorel, une voisine, disparait, sans laisser de traces. Évanouie dans la nature ! Pas de corps donc pas de crime, mais un mystère qui perdure trente ans plus tard.
Depuis ce temps, cette journée hante l’enquêtrice. Ce qui s’est déroulé à ce moment-là est complètement occulté, tout ce qui lui reste, c’est une hyper sensibilité olfactive et une allergie sévère à la menthe, lui attribuant sans raison apparente, un signal de danger.
Son patron Albert Lazaret lui laisse une lettre mystérieuse l’enjoignant à retourner sur les lieux de son enfance pour retrouver enfin, les clés ouvrant les serrures de sa mémoire. Pour enfin faire la lumière sur les événements qui troublent Mathilde depuis trente ans. Puis se sachant très malade, le « patron-amant » disparait en mer, préférant choisir lui-même le moment de son départ.
Mathilde part à la recherche du temps … passé. Accompagnée de son meilleur ami Pierre Orsalhier, ancien flic et amant occasionnel elle amène également Adèle, une ado délaissée par sa mère à laquelle Mathilde s’est attachée. Et cette enquête ne sera pas facile ! Tourmentée par ses souffrances, à chaque pas qu’elle franchit pour atteindre la vérité, l’enquêtrice se bute à l’opacité d’une commune de taiseux, à la difficulté de déterrer de vieux secrets de famille porteurs de déchirures et à sa propre propension à se cacher ce qui pourrait lui faire du mal.
« Au bord des larmes, elle réalise que le temps a passé trop vite, et que l’innocence est un pays que l’on quitte sans espoir de retour. »
On semble s’éloigner d’une enquête classique et pourtant ! Au fur et à mesure de ses découvertes, Mathilde essaiera de comprendre un crime réel ou imaginé : est-elle victime ou coupable, complice ou témoin innocent ? Chaque piste suivie, chacun des indices déterrés, ces mystères non résolus, tout l’amène invariablement vers un puits sans fond de souffrances.
Que s’est-il vraiment passé ce 24 juillet 1987 ? Et pourquoi cette date du 24 juillet semble-t-elle avoir une signification bien particulière ? Mathilde trouvera les réponses dans une passionnante investigation « transgénéalogique », une recherche au cœur de son arbre généalogique et sur des événements qui ont influencé les générations qui ont suivi. Une enquête passionnante !
Est-ce que Mathilde Sénéchal sortira de cette quête avec de nouvelles cicatrices qui seront encore plus douloureuses ?
Vaste comme la nuit est intimement lié au premier roman de la série Mathilde Sénéchal, Comme de longs échos. Malgré tout, il est possible de lire cette deuxième enquête en appréciant toutes ses qualités littéraires, sans avoir lu le premier. Mais je vous suggère quand même la lecture du diptyque dans l’ordre de la parution. Ne nous privons pas du plaisir d’explorer ce personnage complexe tout au long de ces deux romans, de découvrir son passé, largement tributaire de son présent.
Elena Piacentini est une auteure que je vous recommande sans restriction. Vous pourrez aussi découvrir sa première série mettant en scène le commissaire Pierre-Arsène Leoni, ce commissaire corse qui travaille à Lille, cette ville au nord-est de la France, à deux pas de la Belgique. Vous y retrouverez une galerie de personnages attachants et des histoires intéressantes, bien ficelées et sans jamais être sanglantes.
Voilà tout l’art d’Elena Piacentini, nous raconter une bonne histoire, installer un climat et des ambiances, développer la psychologie de ses personnages avec finesse et nous charmer par son style raffiné, sa plume élégante et son sens de la phrase bien tournée.
Bonne lecture !
Vaste comme la nuit, Elena Piacentini. Éditions Fleuve noir. 2019. 310 pages.
À propos d'Elena Piacentini
Auteure et scénariste, Elena Piacentini est née en Corse et vit à Lille. Elle a créé la série des Leoni. Lauréate du prix Transfuges 2017 du meilleur polar français pour Comme de longs échos, elle affirme de livre en livre la singularité de son univers et de «son style plein d’empathie pour ses personnages», selon Le Monde.