Livres de la semaine
Une saison pour les ombres, R. J. Ellory
Se plonger dans un roman de R. J. Ellory, c’est souvent être immergé dans des quartiers glauques d’une cité où la noirceur de l’âme humaine trouve un terreau fertile pour y semer drames et violences. Une saison pour les ombres ne fait pas exception à la règle.
C’est la première fois qu’un roman de l’excellent auteur anglais R. J. Ellory ne se passe pas aux États-Unis. L’action d’Une saison pour les ombres se déroule au Québec, quelque part à des milliers de kilomètres de Montréal, dans le Grand Nord.
R. J. Ellory a imaginé une ville qui ressemble à Fermont ou à Schefferville, une municipalité bâtie autour d’une mine de fer, contrôlée par la compagnie exploitante. Une ville glaciale, huit mois par année, sans soleil et infestée de moustiques dans ce qui ressemble à un été.
Parti depuis plus de 26 ans, Jack Devereaux retourne à Jasperville après avoir reçu un appel de la police l’informant de l’incarcération de son frère, qui a battu sauvagement un homme. Le long périple en auto et en train donne à Jack l’occasion de faire un retour sur son passé, sur celui de sa famille, et sur des drames qui se sont déroulés dans cette petite communauté minière du nord du Québec.
«La mémoire est sélective et, face à des événements traumatiques ou chargés de culpabilité, les gens ne font que changer de perspective.»
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Alors qu’il est enfant, Jack et sa famille s’installent à Jasperville, petite ville entourée d’une nature hostile, peuplée de loups et d’ours, mais aussi d’une bête légendaire, le wendigo, hantant les environs des monts Torngat, le «lieu des esprits mauvais». Le quotidien est marqué par le climat et l’ennui, mais la famille mène malgré tout une vie passablement agréable.
Soudain, la relative sérénité de la ville est bousculée. Une jeune fille est retrouvée morte, charcutée, laissée dans un état effroyable. L’enquête pratiquement bâclée, le manque d’effectif policier, le désintérêt de la police du sud et peut-être une certaine opacité chez les habitants de la ville, tous ces éléments font en sorte que, malgré certains doutes, on conclut que la jeune fille aurait été attaquée par une bête. L’enquête est pratiquement classée. Mais pas le doute…!
Les drames se succèdent et toujours les mêmes doutes et la même incapacité à élucider cette violence.
Sorti de l’adolescence, Jack quitte Jasperville. Il laisse tomber son amoureuse et abandonne son jeune frère en compagnie de son père alcoolique et colérique. Éloigné, il réussit à oublier tout en étant conscient que ces drames l’habitent encore, mais qu’il les a bien enfouis au fond de son subconscient.
Cet appel de la police, l’agression brutale de son frère et son retour sur les lieux de son adolescence feront en sorte qu’il devra creuser le passé, déterrer des événements qui ont marqué la petite communauté et réveiller des souvenirs que chacun voulait garder au plus profond de l’oubli. L’exhumation des faits ne se fera pas sans créer un torrent de mauvais souvenirs.
Se plonger dans un roman de R. J. Ellory, c’est souvent être immergé dans des quartiers glauques d’une cité où la noirceur de l’âme humaine trouve un terreau fertile pour y semer drames et violences. Une saison pour les ombres ne fait pas exception à la règle.
L’auteur décrit avec talent la lourde atmosphère d’une cité minière du Grand Nord, les mois sans lumière, le froid qui s’insinue jusque dans les maisons mal chauffées, la boue du printemps où la terre et la neige fondue se marient comme un couple fusionnel. Le paysage et la nature sont des personnages importants de l’histoire.
Les gens qui se battent pour y survivre le sont tout autant, répondant aux éléments par tous les moyens. Certains y réussissent en essayant de ne pas y penser, d’autres trouvent dans l’alcool l’oasis leur permettant d’oublier le désert de neige, de froid et de noirceur qui les entoure.
Il y a aussi un autre personnage: le Mal! Celui qui jette son dévolu sur les personnes et leur imaginaire. Celui qui prend un visage différent selon ce que l’on veut cacher. Un loup vorace, un ours dangereux, et même, une figure de légende féroce, un animal si visible dans l’esprit des gens malgré le fait que personne ne l’ait rencontré.
Voilà tout le talent de l’auteur: nous décrire la noirceur de l’âme humaine placée dans un milieu hostile et glauque. Une saison pour les ombres est aussi une saga familiale où les actes et décisions de ceux qui nous précèdent influencent les pensées et les gestes de ceux qui les subissent.
Ce roman d’Ellory, écrit tout récemment, démontre tout le talent de l’auteur. Un récit qui se développe graduellement, des personnages complexes qui possèdent une intériorité à fleur de peau, des descriptions qui campent parfaitement l’atmosphère et, parfois, une touche d’espoir. Un très bon roman noir.
Bonne lecture!
Une saison pour les ombres, R. J. Ellory. Éditions Sonatine. 2023. 398 pages