Livres de la semaine
Une femme de rêve, Dominique Sylvain
Une femme de rêve, c’est l’histoire de quatre femmes, d’un truand sans remords, d’un policier obsédé par la vengeance… et d’une femme de rêve.
Dominique Sylvain est, selon moi, l’une des meilleures auteures de polar francophone. Dans une classe à part, elle cumule un succès constant auprès des exigeants lecteurs de romans noirs. Depuis le début de sa carrière d’écrivaine, cette journaliste a développé une œuvre romanesque riche et variée.
Elle a d’abord écrit des romans sériels autour de personnages récurrents. Je souligne de façon toute particulière la série «Lola Jost et Ingrid Diesel», ce duo improbable d’une commissaire bourrue à la retraite et d’une spectaculaire et sculpturale Américaine, massothérapeute le jour et effeuilleuse renommée le soir venu. Leur amitié complice, les dialogues savoureux et l’ambiance familiale du quartier parisien du Marais expliquent le succès de cette série.
Depuis quelques années, Dominique Sylvain s’est tournée vers l’écriture de romans uniques, peut-être un peu plus noirs, mais diablement réussis. Une femme de rêve fait partie des œuvres qui marqueront positivement la carrière de l’auteure.
Une femme de rêve
Charles Karmia est le roi de la prison. Braqueur légendaire, défiguré par une balle qui lui a emporté la moitié de la mâchoire, il rêve de liberté, et surtout, de retrouver la femme qu’il a toujours aimée. L’occasion se présente, ou plutôt, il crée l’occasion. Pendant un cours sur le film Blow up, il prend l’animatrice de l’activité en otage et s’évade en hélicoptère. Commence alors une cavale qui tournera autour de quatre personnages féminins.
La femme qui l’obsède, Laurence, son ex, celle qu’il veut absolument rejoindre. Elle, terrée dans sa maison de campagne, craint cette rencontre inéluctable. Et la violence qui peut surgir.
Adèle, l’animatrice du cours d’interprétation cinématographique, la femme qui a été son passe-partout pour quitter la prison, devient un boulet à trainer en cavale, mais dont il refuse de se débarrasser.
Il y a aussi Nico, celle qui a planifié l’évasion paternelle et qui rêve de retrouver une vie avec son père. Avec ses tendances à la « Lisbeth Salander», cette youtubeuse environnementaliste sera toujours engluée dans son désir de se rapprocher, de se faire aimer par son père et de revivre une vie familiale avec sa mère.
Enfin, il y a Séverine, la dernière victime de Karmia, abattue lors de son dernier braquage, immobile sur son lit d’hôpital, dans le coma depuis 14 mois. Son coéquipier, le flic démissionnaire Schrödinger, la protège, en attente d’un possible réveil. Il est prêt à tout pour la venger.
Une histoire parallèle
Déjà, cette cavale d’un truand sans limites créerait un excellent roman: une intrigue bien tissée, des personnages superbement campés et une montée de tension en intensité. Tous les ingrédients sont présents pour satisfaire le lecteur. Mais, pour notre plus grand plaisir, l’auteure ajoute à la complexité de l’histoire un récit onirique, des chapitres nous racontant l’arrivée d’une femme dans un village très particulier (un village qui m’a rappelé l’excellente série «Le Prisonnier» avec Patrick McGoohan).
Sous le nom de «L’Élue», cette femme est parachutée dans un village aux allures de paradis terrestre. Elle ne sait pas qui elle est, ni ce qu’elle fait dans ce village où les gens parlent une langue qui lui est inconnue. On lui recommande de lâcher prise, d’accepter son sort et d’éviter de rechercher sa véritable identité. Le bonheur est ici, pas ailleurs.
Et nous voilà happés par une histoire parallèle où l’imaginaire d’une écrivaine nous transporte ailleurs, mais en laissant transparaitre le message que oui, il y a un lien entre ce village paradisiaque et la cavale d’un violent truand. Qui est cette femme? Quel est le lien entre elle et l’évasion de Karmia? Quel est l’enjeu de retrouver sa véritable identité?
Un roman unique
Voici donc un roman pas comme les autres! L’auteure déconstruit le genre, dépasse les codes et nous offre un moment de lecture saisissant. Ici, l’important ce n’est pas le criminel, même s’il prend beaucoup de place; dans ce roman, les victimes sont au cœur de l’intrigue. Trop facile de découvrir qui est le coupable. Dans Une femme de rêve, le plaisir est de découvrir qui est la victime.
Toutes les femmes de l’histoire recherchent leur identité propre malgré Karmia qui, lui, veut les déposséder de leur être profond. Un dilemme bien actuel!
Dominique Sylvain possède une plume toute en nuances, efficace et capable de dépeindre la violence, l’amour ou l’expression d’une amitié indéfectible. Le contraste entre le rêve (ou le cauchemar) de cette femme et la réalité nous offre un roman passionnant, original et déconcertant.
Dominique Sylvain mélange les genres, nous charme avec une écriture sensuelle et contrastée et nous raconte les sombres pensées de la nature humaine. Une femme de rêve est un roman qui marque un tournant dans la carrière de cette écrivaine.
Dominique Sylvain, une femme, une auteure qui rêve d’une littérature différente, pour ses lecteurs exigeants. À lire et à découvrir.
Bonne lecture!
Une femme de rêve, Dominique Sylvain. Éditions Viviane Hamy, 2020. 290 pages.