13 juillet 2021Auteur : Richard Migneault

Livres de la semaine

Sa parole contre la mienne, Chrystine Brouillet

Chaque été, les lecteurs et lectrices de Chrystine Brouillet espèrent se replonger dans une enquête de Maud Graham. Les inconditionnels de la policière gastronome devront patienter jusqu’à l’an prochain pour retrouver Maud, Maxime, Grégoire et toute l’équipe d’enquêteurs. L’auteure la plus aimée du Québec nous propose cette année un roman intense, un peu plus noir qu’à l’habitude, totalement addictif et tellement proche de l’actualité. Sa parole contre la mienne est un des meilleurs, sinon le meilleur roman de Chrystine Brouillet. Même sans son personnage fétiche.

Sa parole contre la mienne, l’argument trop souvent brandi devant les tribunaux, nous annonce le sujet de ce roman, soit la difficulté pour les femmes victimes d’agression sexuelle d’obtenir justice.

Personnage principal de cette histoire, Myriam est une jeune journaliste pigiste. Élevée et éduquée par deux femmes remarquables, Faye et Doris, elle ne craint ni la controverse, ni l’aventure. La jeune femme part pour l’Europe, où elle signera une série de chroniques sur les mœurs gourmandes à travers le vieux continent.

À son retour, révoltée par l’agression sexuelle subie par une de ses amies, elle décide d’enquêter sur les agissements d’un animateur de télévision et de radio très populaire. Rapidement, elle retrouve quelques victimes de cet homme, victimes pas nécessairement prêtes à subir l’humiliation d’une enquête et d’un éventuel procès. L’investigation est complexe et Myriam se bute souvent au mutisme des femmes et à la complicité passive des hommes. Les victimes craignent le processus judiciaire et les criminels profitent de leur silence et poursuivent ainsi leur vie en toute impunité. Et ils continuent à abuser des femmes!

«Myriam savait maintenant que les prédateurs n’agressaient pas par désir sexuel, mais pour démontrer leur pouvoir, leur puissance.» - page 45

Plus Myriam avance dans sa recherche, plus elle découvre certains faits qui donnent une portée plus grande à son enquête. Depuis 1985, dans l’entourage de la vedette médiatique Jacques Gervais, des indices portent à croire que certaines vérités sont occultées derrière un écran d’opacité. Aidée par un policier aussi tenace qu’elle, malgré un passé qui le relie à l’objet de l’enquête, la journaliste devra combattre âprement pour découvrir la vérité.

Une tournure inattendue

Au tiers du roman, Chrystine Brouillet nous donne une information qui insuffle une tournure spéciale au récit. Même Myriam, la principale intéressée, ne la connait pas. Ne voulant pas gâcher le plaisir des futurs lecteurs et futures lectrices, je vous laisse découvrir cette révélation qui donne à ce roman un souffle différent. L’auteure use de tout son talent pour nous faire complices dans cette quête de la vérité. L’intérêt est décuplé, nous restons accrochés à l’histoire et nous regardons Myriam tisser finement sa toile autour de cet homme. Passionnant!

En même temps, l’auteure nous donne l’occasion de réfléchir à ce problème complexe qu’est l’application de la justice dans les cas d’agressions sexuelles. Par de brillants allers-retours entre 1985 et 2017, Chrystine pénètre dans la tête de ces hommes qui abusent des femmes, qui les violentent et qui mettent un voile d’impunité sur de leurs actes. L’enquête de Myriam démontre clairement la mécanique de l’évolution d’un agresseur: abus de pouvoir, perversité, dénigrement, menaces, tout est permis pour exploiter l’autre, l’abuser et même la tuer.

Par le biais de l’enquête de la journaliste, l’auteure nous trace un portrait de ces femmes, seules face à la machine judiciaire, qui n’osent pas demander réparation. Elles ne croient plus à la justice et préfèrent se taire plutôt que de subir une autre forme d’abus, celui de la culpabilité, de la honte. Ne serait-ce que pour cet élément, la lecture de ce roman prend tout son sens. Espérons que cette histoire permettra une réflexion déjà bien amorcée sur cette réalité rapportée presque au quotidien dans l’actualité. Sans nous tromper, nous pouvons dire que Sa parole contre la mienne accompagne très pertinemment le film d’Émilie Perreault et de Monic Néron, La parfaite victime. Espérons que ces deux œuvres provoqueront une réflexion nécessaire, mais surtout des actions pour que ces drames cessent le plus rapidement possible.

Sa parole contre la mienne est une œuvre marquante d’où nous ne pouvons sortir sans avoir exploré nos propres pensées devant cette problématique. Sa parole contre la mienne est un roman noir qui dépeint un problème de société réel, une excellente histoire qui passionnera ceux qui s’y plongeront.

Pour les amateurs de polars, il faut lire ce roman pour ses qualités littéraires et son intrigue passionnante. Pour les autres, préoccupés des malaises de notre société, bouleversés par la violence faite aux femmes, lire ce roman ajoutera un élément de réflexion essentiel. Pour la société en général et pour ce qui touche à la justice en particulier, cette histoire a des odeurs d’œuvre incontournable.

Chrystine Brouillet a su, avec sensibilité et compassion, traiter un sujet difficile et réussir un excellent roman.

À lire pour le plaisir de lire. À lire pour l’importance de réfléchir.

Bonne lecture!

Sa parole contre la mienne,Chrystine Brouillet. Druide éditions. 2021. 440 pages.