Livres de la semaine
Petite-Ville, Mélikah Abdelmoumen
Pauvreté, exclusion, racisme, inégalités, discrimination, immigration, intimidation, injustice et violence: des mots que l’on peut accoler à beaucoup de villes à travers le monde. Ces villes, et bien d’autres, pourraient raconter plein d’histoires sombres qui se passent dans les rues et ruelles glauques de certains quartiers. Mélikah Abdelmoumen a choisi de nous parler de ces quartiers et de l’histoire des personnes qui les habitent en nous présentant un endroit fictif, Petite-Ville.
Simon James a connu l’emprise des effets de la misère. Tout comme Mia, une jeune fille de quatre ans son aînée, il a été adopté par Annick Mesplède (est-ce un clin d’œil à Claude Mesplède, le grand spécialiste français du polar?), une travailleuse sociale au grand cœur. En grandissant, Simon devient l’icône du combat des pauvres en dénonçant les injustices dont ils sont les victimes.
«Il débusquait les raccourcis et formules, les discours publics et les prises de parole politiques dont on se sert pour faire passer les vessies pour de lanternes, les injustices pour des fatalités, et les régressions pour des progrès.» - Page 14
Simon est sauvagement assassiné et retrouvé dans le parc qui a remplacé le quartier pauvre dans lequel il vivait. Les suspects sont nombreux. Parmi eux: le journaliste Renaud Michel, ennemi juré de Simon, polémiste et vedette d’une radio ne faisant pas dans la dentelle. Le populiste s’est acoquiné avec les bonzes et les riches de la ville.
Mia est terriblement affectée par la mort violente de Simon. Malgré ses propres difficultés, ses dépendances et la perte de sa fille, enlevée par les services sociaux, elle tentera de découvrir la vérité qui se cache derrière cette mort violente, l’assassinat de celui qui osait dire la vérité.
Qui a tué Simon, et surtout pour quelles raisons? Pour le faire taire? Pour éviter que certains événements du passé ressurgissent? Pour protéger la carrière politique de certaines personnes? Ou même, juste pour effacer de la ville la voix qui défend les laissés pour compte?
Un polar atypique
Mélikah Abdelmoumen raconte qu’elle rêvait depuis longtemps d’écrire un roman policier. Certains puristes pourraient dire que Petit-Ville n’est pas un polar. Il est vrai que l’enquête ne prend pas toute la place.
Ce roman prend souvent des allures de roman noir où l’on sent l’influence de certains grands noms du genre. James Ellroy, Jim Thompson ou même Dennis Lehane ont dépeint avec une précision chirurgicale les sociétés dans lesquelles ils font évoluer leurs personnages. Petite-Ville dépeint une lutte sans merci pour sortir de ce tourbillon infernal que sont la pauvreté, les difficultés éprouvées pour se soustraire de certaines dépendances, l’insatiabilité et la voracité de certaines élites pour le pouvoir et l’argent. Voici le côté noir de Petite-Ville et l’auteure le décrit de très belle façon.
Roman noir, certainement! Polar, oh! que oui, mais tellement atypique.
Mélikah Abdelmoumen nous présente un roman où l’enquête est présente à chaque page, mais elle se situe entre les lignes, entre les mots, entre la violence du milieu où se passe l’action. Dès le début du roman, le meurtre de Simon est annoncé. Tout le long du récit, on apprend comment il s’est constitué au fil des années. De son enfance de «garçon noir» jusqu’à sa carrière de journaliste engagé, toutes les expériences de vie, ses opinions et ses textes percutants, sont les jalons qui préparent sa mort violente. Dans Petite-Ville, le polar se cache derrière une critique sociale décrite avec justesse et passion.
Polar et roman noir, analyse sociologique et roman psychologique, et une surprenante touche de fantastique, Petit-Ville est un roman incontournable qui défie avec succès les règles du polar et du roman policier. Même «l’objet livre» nous offre une configuration différente et franchement agréable: les publications officielles, les textes de Simon, les documents d’archives sont présentés sur des pages d’une teinte grisée.
Petite-Ville est un roman qui prend aux tripes. On ne traverse pas les rues de cette «petite ville» sans vivre de grandes émotions. Les personnages sont complexes, mais comme le quartier dans lequel ils survivent, ils ont chacun une part de noir, un côté sombre qui cache souvent le soleil.
Mélikah Abdelmoumen trace un portrait hyper réaliste d’une société qui nous ressemble, elle pose de très bonnes questions, répond à quelques-unes d’entre elles et nous fait réfléchir à certaines autres. Mais ce qu’il faut retenir de ce roman, c’est qu’il nous raconte une excellente histoire, prenante et très bien écrite, qui peut satisfaire tous les genres de lecteurs et de lectrices, passionnés de polars ou non.
Bonne lecture!
Petite-Ville, Mélikah Abdelmoumen. Éditions Mémoire d’encrier. 2024. 312 pages