31 octobre 2022Auteure : Françoise Genest

Livres de la semaine

L’atelier de Marc Séguin: incursion au cœur de l’artiste et de l’art

L’art visuel, la peinture en particulier, me fascine et m’émeut. Et je suis toujours subjuguée par le talent de ces artistes qui insufflent autant de force, d’émotion et de vie à des traits de peinture. Comment travaillent-ils? À quoi pensent-ils? De quoi le quotidien est-il fait? Que se passe-t-il derrière les portes closes de leurs ateliers? Et voilà que je reçois un livre unique, magnifique, une œuvre en soi, un livre qui ouvre les portes de ce mystérieux atelier. Ce livre, c’est L’atelier de Marc Séguin. Un ouvrage exceptionnel à la hauteur de l’immense artiste qu’il est.

Un livre qui nous entraîne de New York à L’Isle-aux-Grues en passant par Montréal. Car chez Marc Séguin, l’atelier est pluriel. Des lieux où, comme il l’écrit, l’art et la création prennent tout leur sens, trouvent pignon sur rue et s’ancrent dans une réalité physique essentielle pour l’artiste et l’œuvre.

Ouvrir le livre, paru à l’automne 2021, le feuilleter, c’est comme avoir poussé la porte d’un de ses ateliers et le voir évoluer dans son univers, le voir créer et y découvrir des œuvres en devenir et des tableaux achevés. Une incursion unique dans la genèse du processus créatif.

«L'Atelier» est une incursion unique dans la genèse du processus créatif de Marc Séguin.

Les très nombreuses photos de Maude Chauvin et Caroline Perron servent le sujet avec finesse. Mais chez Marc Séguin, il n’y a pas que l’atelier qui soit multiple. Le talent aussi. Auteur de six romans, le talent d’écrivain de l’artiste est indéniable. Et avec ses textes superbement écrits et à la fois très simples, l’artiste nous ouvre les portes d’un autre atelier, celui de sa pensée, de ses observations, des détails qui meublent son parcours, son quotidien. Un peu à la manière d’extraits de journaux intimes, Marc Séguin nous parle de ses rencontres, de ses interrogations, et nous ramène toujours à ses œuvres, à l’art et à la réalité de l’artiste.

À lui seul, le texte d’introduction sur le rôle essentiel que joue l’atelier pour un artiste visuel vaut le détour du livre.

C’est dans un atelier d’artiste qu’est apparu, dans ma vie adulte, le sentiment d’exister. Car les belles idées et tout le génie du monde ne valent rien s’ils ne sortent pas au grand jour. La cristallisation d’une idée a besoin d’un plancher, d’un plafond et de murs pour prétendre faire partie du monde. Les artistes produisent des œuvres physiques. Et le passage d’une pensée vers un objet a besoin d’un pont.

[…] Derrière le chaos, enfouie sous le désordre apparent, se cache la réalité de la création: le besoin vital de créer, de faire œuvre, coûte que coûte. Les matériaux sont éparpillés, pêle-mêle, parfois à la traîne et sauvages, l’espace y est moins domestique. Car y faire est plus important que d’y vivre. À l’entrée, des idées et une envie. À la sortie émergent, par la même porte, des objets. De l’art.

Les textes qui jalonnent le livre sont un accès direct à l’homme, l’artiste qui jongle avec ses doutes, ses impressions, son besoin créatif, son regard sur l’art et sur le marché de l’art. De précieuses tranches de vie de l’artiste, qui tient lui-même la porte. Peut-être pour qu’on comprenne mieux, pour démystifier l’art ou tout simplement pour nommer ce qui doit être nommé comme il peint ce qui doit naître.

Je ne sais pas pourquoi le cerveau fait des associations. J’imagine que c’est dans les liens que se trouve notre identité. Ou du moins une partie de notre définition.

C’est aussi ça, la création: la manifestation spontanée de soi. Dénuée de filtres.

Des fois, ça va très vite, les images et les idées défilent à une telle vitesse que je deviens le spectateur, silencieux et amusé, de ma pensée. Quelques rares secondes. Et ça, ça rassure autrement que tous les objets du monde.

Un livre qu’il faudra déposer sur la table à café, car il doit être feuilleté, parcouru tranquillement, quelques tableaux, quelques pages à la fois.

Dîner avec des célébrités à Manhattan, séjour à Londres, exposition au Japon, retours au Québec, Marc Séguin est un artiste de réputation internationale qui doit aussi composer avec la réalité et les exigences du marché de l’art.

Demain soir, je dois aller souper en ville avec les gens de la galerie. Je sais déjà qu’ils vont me demander où sont rendus les neuf tableaux déjà «prépayés». Je vais sourire en mettant l’index sur ma tempe et en disant qu’ils sont presque terminés. Je les repousse depuis plusieurs mois. J’y suis. Ça va sortir.

Peut-être que l’art est un élastique? 

Ses textes sont comme des fragments d’interrogation, de pur bonheur, de doute, de réflexion, de création ou encore d’une réalité bien physique et concrète du geste créatif. Avoir accès à ces textes, aux mots de l’artiste, c’est comme découvrir l’atelier qu’il porte en lui et qui habite ses ateliers physiques.

J’aime être seul. C’est là que je retrouve, reconnais plutôt, les raisons pour lesquelles je fais ça. Il me semble. Même quand le tableau n’est pas bon et qu’il faut le détruire, j’ai eu raison de le faire.

En réalité, une œuvre terminée devient une affirmation. Mais tout ce qui y mène est douteux.

Nous sommes maintenant le 15. C’est la nuit. Les yeux piquent. Je sais que j’aurai mal à la gorge demain à cause des solvants.

Un livre qu’il faudra déposer sur la table à café, car il doit être feuilleté, parcouru tranquillement, quelques tableaux, quelques pages à la fois. Un livre d’art d’une très grande beauté. Le travail d’édition de Fides est d’ailleurs à souligner. Assurément un livre à offrir en cadeau à quiconque dans votre entourage vibre à la beauté et à l’art.

Rappelons que Marc Séguin était l’un des invités de la 8e édition du Salon avant le Salon d’Avenues.ca avec son dernier roman en titre, Un homme et ses chiens. 

L’atelier, Marc Séguin, Beaux livres, Fides, novembre 2021, 304 pages, 69,95$

Marc Séguin est né le 20 mars 1970 à Ottawa. Ses œuvres sont exposées dans plusieurs musées et sont reconnues dans le monde. Ses estampes et ses peintures se trouvent notamment dans de nombreuses collections d’entreprises canadiennes et d’importants collectionneurs privés. Marc Séguin est également écrivain. Son premier roman, La foi du braconnier (2009), a remporté le Prix littéraire des collégiens. Ses trois romans subséquents, Hollywood (2012), Les repentirs (2017) et Jenny Sauro (2020) ont été salués par la critique. Il vient de publier chez Leméac son dernier titre, Un homme et ses chiens.