Livres de la semaine
Le portrait, Suzanne Aubry
Dès la lecture des premières pages du plus récent roman de Suzanne Aubry, Le portrait, on pourrait penser que l’auteure de la série Fanette nous replonge dans une autre saga historique. Mais très rapidement, l’histoire nous plonge dans un thriller psychologique terriblement efficace. Pour ses premiers pas dans le polar, l’auteure a pris le risque de se lancer dans un tout nouveau genre et c’est avec talent qu’elle a relevé le défi.
Clémence Deschamps est jeune enseignante dans un village au nord de Montréal. Son destin est tout tracé. Devant elle se dessine sa vie dans cette petite école de rang du village de Saint-Hermas, le célibat obligé pour une institutrice et la monotonie des jours qui passent. Rien de passionnant à l’horizon. Chaque jour ressemble au précédent et le prochain sera pareil aux autres. Comme toute jeune, elle rêve à un ailleurs plus stimulant, à un avenir plus lumineux.
En parcourant un journal trouvé chez son oncle, son regard est attiré par une annonce: un veuf d’Outremont est à la recherche d’une gouvernante pour son fils de douze ans. Voici l’occasion rêvée de se retrouver dans la grande ville et de s’investir totalement dans l’éducation d’un jeune élève.
Elle obtient le poste et s’installe dans cette maison, tellement différente de ce qu’elle a connu. Le docteur Levasseur est un être froid, distant, exigeant et intimidant. Le garçon, Tristan, dépérit depuis la mort de sa mère. L’homme à tout faire et la cuisinière complètent le tableau des personnes qui gravitent autour du médecin et de son fils.
Une complicité se crée rapidement entre l’enseignante et son élève. Cependant, des événements étranges se produisent, des appels à l’aide viennent perturber la gouvernante. Il se passe quelque chose dans cette maison qui plongera la jeune femme au cœur d’un mystère inquiétant. Et la nuit, une apparition énigmatique hante le jardin de la propriété et provoque des réactions bizarres chez l’adolescent.
La maison semble animée par un souffle, un esprit bien particulier. Personnage important de l’histoire, elle possède un cœur qui ne bat plus: un tableau trônant en son centre représentant une femme mélancolique. De ce portrait de Jeanne Levasseur, l’épouse du médecin et la mère de Tristan, se dégage une tristesse accablante et résignée.
D’où viennent cette douleur et cette peine qui transcendent ce tableau? C’est dans l’histoire de cette famille que la jeune enseignante trouvera les réponses.
Il y a vingt ans vivaient dans cette maison les jumelles Isabelle et Jeanne Valcourt avec leurs parents. Un jeune homme s’incruste dans la famille. Habilement, il fait sa place auprès de Jeanne. L’étudiant en médecine prend tous les moyens pour se rapprocher de la jeune fille, la marier et faire le vide autour d’eux. Et là, graduellement, on découvre les ficelles que le jeune médecin a tirées pour devenir l’incarnation de la cruauté, le maître de l’intimidation et l’architecte d’un plan perfide.
Et voilà toute la force de ce roman! Suzanne Aubry tricote son intrigue une maille à la fois, aucune n’est laissée au hasard. Le plan est machiavélique, bien construit, et chaque pièce s’intègre parfaitement. Le récit est au diapason de la méchanceté du personnage. Pas de course effrénée, juste une lenteur calculée, insidieuse, des pièces mystérieuses qui s’imbriquent pour capter l’attention du lecteur et le maintenir scotché à l’intrigue. Et bien sûr, quelques bouleversements bien dosés et crédibles qui donnent du punch à l’histoire et qui préparent une finale à la hauteur du récit.
Suzanne Aubry est très habile à utiliser le contexte historique pour enrichir son récit, et surtout, pour plonger son lecteur dans l’ambiance de l’époque. Sans être didactique, elle réussit à décrire l’atmosphère des années 1930 et les techniques d’intervention en santé mentale de «l’asile» (tel qu’on le nommait à l’époque) Saint-Jean-de-Dieu, au début du 20e siècle. On prend alors conscience du chemin parcouru dans les traitements en santé mentale et de la rigueur des diagnostics. Intéressant, passionnant et très instructif!
Finalement, je me dois de souligner la qualité de l’écriture de Suzanne Aubry. Elle nous offre une langue nuancée, précise et chargée d’émotions, des dialogues crédibles et un style soigné, sans être ampoulé. Une lecture fluide au service d’une histoire prenante, une délicatesse des mots pour illustrer la cruauté humaine.
Cette première incursion dans le monde du polar est concluante. Tous les ingrédients sont présents pour satisfaire l’amateur: un mystère bien dosé, un personnage diabolique, une intrigue bien campée.
L’ambiance créée par l’auteure, la description de ce monde feutré des années 1930, donnera au lecteur et à la lectrice de romans historiques la tentation de se plonger dans ce thriller psychologique d’époque.
Polar ou roman historique, laissons de côté les étiquettes, Le portrait est un très bon roman qui raconte une histoire prenante, vécue par des personnages attachants, un méchant bien crédible et une époque pas si lointaine mais quand même bien différente. À découvrir!
Bonne lecture!
Le portrait, Suzanne Aubry. Éditions Libre Expression. 2023. 286 pages