Livres de la semaine
La transparence du temps de Leonardo Padura
Le polar, un genre mineur? Lisez La transparence du temps du Cubain Leonardo Padura et vous découvrirez une histoire qui devient, entre les mains d’un grand écrivain, une œuvre littéraire puissante, enrichissante, superbement bien écrite et prenante. Et cela, c’est du grand art!
Vous ne connaissez pas Leonardo Padura? Je vous le présente en quelques lignes.
Padura est un écrivain cubain qui, contrairement à beaucoup de ses compatriotes, a décidé de rester sur son île natale, contre vents et marées. Après des études littéraires, il devient journaliste culturel et donne à ses articles une saveur différente, n’ayant pas peur d’utiliser un peu de fiction. Il avoue avoir déjà interviewé un mort afin d’alimenter un article!
Au début des années 1990, il crée un personnage macho, hétéro, désabusé, alcoolique, fumeur, critique envers la société dans laquelle il vit, mais tellement fidèle en amitié, Mario Conde. Policier dans la mi-trentaine dans le premier roman, on le retrouve dans La transparence du temps revendeur de livres anciens, au seuil de la soixantaine… et pas heureux du tout de ce tournant irréversible, «l’arrivée obscène de la vieillesse».
Lors d’un lendemain de veille typique d’une nuit havanaise bien arrosée, Mario reçoit la visite d’un ancien camarade d’école, souvent victime d’intimidation, Roberto Roque Rosell. Aujourd’hui, grâce à ses activités de marchand d’œuvres d’art, il est riche. Toutefois, son amant s’est enfui avec une Vierge noire de Regla d’une valeur inestimable pour lui. Pour un généreux salaire qui le sortira temporairement de sa misère, Conde accepte le contrat et part à la recherche de cette statue.
Tout au long de son enquête, les principaux suspects sont assassinés; même la police n’arrive pas à résoudre l’affaire. Inquiétant! Mais c’est sans compter les légendaires prémonitions de notre enquêteur.
L’enquête avance au gré des rencontres avec des personnages plus ou moins coupables et souvent menteurs, cachottiers. En suivant Conde, nous explorons les deux Havane, celle des riches, des privilégiés qui profitent du système et celle des Havanais torturés par la faim et vivant dans des conditions indécentes de dénuement.
Vous avez déjà visité La Havane? Padura vous la fera parcourir à nouveau, à grands coups de descriptions, d’odeurs, de plats, de musique et de chaleur caniculaire. Vous n’y êtes jamais allé? Conde vous accompagnera avec bonheur au Parque Central ou sur le Malecón!
Comme dans la plupart des récents romans de l’auteur, l’enquête ne prend pas toute la place dans son récit. Au fil des chapitres, le romancier se transforme en historien et raconte le parcours de cette Vierge noire, en vous transportant à travers les siècles, de la Catalogne au Finistère, des Pyrénées aux batailles sanglantes des Templiers en Terre sainte. Un voyage dans le temps et dans l’espace, tout à fait passionnant, incluant une bonne dose de mystère!
La description du siège de la ville de Saint-Jean d’Acre vaut à elle seule le prix de ce roman. Ce matin du 18 mai 1291, le lecteur est projeté au cœur d’une bataille sanglante, spectateur privilégié des stratégies militaires des soldats musulmans sous les ordres du sultan Al-Ashraf. Une pièce d’anthologie!
Inutile de vous dire que j’aime cet auteur et que j’adore son personnage. Depuis le début, je suis les enquêtes de Mario Conde et j’apprécie sa mélancolie, sa «soif» de vivre et son indéfectible amitié pour ses compagnons de réflexion et de beuverie. Je me laisserais bien tenter par les repas de Josefina, les joyeuses rencontres sur la terrasse avec les nombreuses bouteilles de rhum, l’odeur du café dans la cuisine et les promenades dans les rues de la capitale cubaine en discutant littérature ou en cherchant les trésors de livres anciens!
Vous ne connaissez pas Padura? Vous êtes comme la majorité des Cubains qui n’ont pas la chance de connaitre ce compatriote, boudé par le régime en place. Alors, lancez-vous! Vous avez la chance de le découvrir et de visiter toute son œuvre. Et la plupart de ses romans sont disponibles en format poche.
En ce qui me concerne, je vous conseille:
- Adios Hemingway, pour le plaisir de suivre ce grand écrivain et ses travers;
- L’excellent Les brumes du passé;
- Le génial Hérétiques, à lire sans faute. Ce roman est extraordinaire, un des meilleurs que j’ai lus depuis très longtemps;
- L’homme qui aimait les chiens, qui ne met pas en scène le policier Condé, mais l’histoire passionnante du meurtre de Léon Trotski.
Bonne lecture!
La transparence du temps, Leonardo Padura. Éditions Métailié, 2019. 430 pages