Livres de la semaine
La patience du lichen de Noémie Pomerleau-Cloutier
Qui sont les gens, les communautés qui vivent au-delà du mot «fin» qui arrête la 138 à Natashquan? Qui sont ces hommes et ces femmes qui vivent là où seuls avions et bateaux assurent le ravitaillement, la liaison avec le reste du monde? Pour le savoir, Noémie Pomerleau-Cloutier a pris la route à bord du fameux Bella-Desgagnés, mais elle a aussi pris l’avion et la motoneige à plusieurs reprises pour visiter et comprendre la Basse-Côte-Nord, de Kegaska à Blanc-Sablon.
Au cours de ces virées nordiques, elle a fait connaissance avec les Coasters au fil d’entretiens et de rencontres. Un immense reportage humain qu’elle livre en poésie. Des poèmes à la fois simples et sublimes qui en quelques mots dessinent le visage, le corps, l’histoire et la réalité de ces Québécois aux horizons lointains. Des poèmes qui racontent mille histoires, leurs histoires. L’exercice littéraire était audacieux, le pari réussi. J’ai dévoré La patience du lichen.
«Là où le temps est large, je me suis ancrée, le temps d’une conversation, une enregistreuse captant toute la grandeur du territoire de l’intime. Aux confins du système routier, ces personnes découvertes, côtoyées, aimées, avec la valse de leurs ondoiements et de leurs amarrages, m’ont guidée vers cette côte intérieure que je chercherai toute ma vie.»
L’auteure termine ainsi son introduction, nous préparant à ce qui va suivre car, ne nous y trompons pas, nous ne sommes pas dans la poésie bucolique sur la beauté des grands espaces, mais dans la vie des humains qui y vivent, de leur enfance, de leurs amours, de leurs blessures, de leur amour du territoire, de leurs espoirs.
la vingtaine
il a troqué
l’isolement de l’est
pour celui de l’Arctique
you see
North Canada was a tough place
I didn’t know how to survive
Without trees
les Inuits lui ont enseigné
les coopératives
la langue de ce qui continue d’exister
les couleurs du blizzard
la touffeur des igloos
les grandes chasses au phoque
l’élan de l’immense
le respect de la ténacité
les noirceurs du gouvernement
il a écrit des cahiers sur sa vie
you see
we only had grade seven here
so my spelling is too bad
l’orthographe importe peu
quand les récits débordent du papier
La poétesse a rencontré des communautés francophones, anglophones et autochtones. Elle a écouté visiblement avec beaucoup d’attention et d’humanisme ces bribes de vie, ces histoires qui se collent aux grands espaces, au froid, à l’isolement, à la mer. Résultat: des polaroïds en poésie aussi efficaces qu’une vidéo ou une photo. Ici, les mots valent toutes les images, ou du moins les font surgir.
des perles
et des peaux
une floraison de couleurs
dans le fil
le brodeur trouve
une façon d’être
la réparation
ka uaueshtakan
se fait peut-être
put ma tshipa tshi
un point à la fois
papaiuk e tshittapatkanu
Le recueil est sorti en mars chez La Peuplade Poésie, il était resté sur mon bureau, je l’ai enfoui dans la valise de mes vacances, que je prends de l’autre côté du fleuve et de la mer. Mais ma mère était native de la Côte-Nord; j’y ai passé mes étés de petite enfance et j’en garde un souvenir intense. Car là-bas, tout me paraissait plus grand que nature, les hommes, les arbres, les montagnes, le fleuve. C’est donc sur le bord du Saint-Laurent que j’ai dégusté et quasi dévoré La patience du lichen. Je ne connaissais pas Noémie Pomerleau-Cloutier, mais j’ai découvert une plume d’une grande sensibilité, efficace, évocatrice toute en simplicité.
Regroupés en divers chapitres territoriaux, les poèmes sans titre ont le rythme berçant du vent dans les grands espaces ou de la houle sur la mer. Comme tous les recueils de poèmes, il convient de le laisser sur la table à café ou de chevet et de le déguster par petites bouchées en laissant les images et les visages prendre forme. Comme Noémie Pomerleau-Cloutier, vous aurez peut-être envie de rester au cœur de cette étendue avec les Coasters qui ont, dit-elle, la résistance et la patience du lichen. Peut-être y trouverez-vous, vous aussi, le quai où vous accoster le cœur.
j’ignore
ce que je viens chercher
Je n’ai jamais réussi
à poser mes pieds
le sol est toujours meuble
les bouts du monde
où j’ai appris à fuir
peut-être
un coin de mousse
où me déposer
dans les voix du
territoire
peut-être
un mouillage
pour mon plexus
je voudrais pouvoir comme eux
rester
La patience du lichen, Noémie Pomerleau-Cloutier, La Peuplade Poésie, mars 2021, 264 pages, 23,95$