22 octobre 2020Auteur : Claude Deschênes

Mouffe: Au cœur du showbiz, Carmel Dumas 

On parle beaucoup en 2020 de l’année 1970. Et pour cause, c’était il y a 50 ans, excellent prétexte pour faire des bilans. Par exemple, les derniers jours ont été l’occasion de faire un nouveau bilan de la crise d’Octobre et de la Loi des mesures de guerre qui s’en est suivi, un moment dramatique, charnière de notre histoire. Cet épisode donne l’impression que 1970 a été lugubre. Eh bien, non, en tout cas, pas totalement!



Cette année-là, la culture québécoise était en ébullition et a laissé des trésors. L’auteure Carmel Dumas nous fait revivre cette effervescence en braquant les projecteurs sur Mouffe, une femme qui a été au cœur de cette fission et n’a jamais cessé d’en attiser les braises, mais dont la contribution n’a jamais été reconnue à sa juste valeur. L’ouvrage s’appelle Mouffe: Au cœur du showbiz.

Mouffe: Au cœur du showbizz, c’est comme découvrir la face cachée de la lune. Un être attachant. Une lecture attractive!

Cette biographie à quatre mains (Mouffe a participé à l’écriture) embrasse toute la vie de Claudine Monfette, de son enfance bourgeoise à Outremont à sa vieillesse sereine et solidaire… à Outremont.

Mais revenons d’abord à 1970. C’est en cette année que naît Ordinaire, une des plus grandes chansons du répertoire francophone, gagnante du Grand Prix de la chanson au Festival de Sopot en Pologne. Mouffe a écrit ce texte empreint d’une grande maturité alors qu’elle n’avait que 25 ans. On lui doit aussi, la même année, Miss Pepsi et Deux femmes en or, deux textes qui réaffirment le côté piquant de sa personnalité révélée dans le retentissant Osstidcho ou le film Jusqu’au cœur de Jean-Pierre Lefebvre.

Mouffe (debout) avec Louise Forestier (assise) pendant l'Osstidcho. Photo: Centre d'archives de Montréal, fonds Journal Québec-Presse

Ses contributions au répertoire de Charlebois (ajoutons Cœur en chômage, mieux connue sous le nom de Mme Bertrand, et Le mur du son), et l’instinct qu’elle déployait pour propulser son chum n’ont pas toujours été reconnus puisqu’elle vivait dans l’ombre d’un être aussi hors-norme qu’exubérant. Elle-même a beaucoup minimisé son rôle.

«Je n’ai fait que suivre son inspiration tout en essayant de bien l’encadrer, de le mettre en valeur. Je l’aimais, je voulais qu’il soit bon.»

Il y a dans cette déclaration de Mouffe tout ce qu’elle a incarné sa vie durant, une forme d’abnégation au service d’abord de Robert Charlebois et ensuite d’une multitude d’artistes, d’organismes ou d’événements au service desquels elle a mis son sens de l’organisation, sa sensibilité artistique et humaine, son savoir-faire, pour accoucher de spectacles intimes ou grandioses, pour créer des émissions de télé mémorables ou pour mettre en orbite de nouveaux talents.

Mouffe a mis en scène J’ai vu le loup, le renard, le lion avec Leclerc-Vigneault-Charlebois en ouverture de la Superfrancofête en 1974, le show de femmes Ça s’pourrait-tu? sur le mont Royal en 1975, le premier spécial Céline Dion en 1982, Magie rose de Diane Dufresne en 1984, Chaud 95 de Roch Voisine, d’innombrables galas de l’ADISQ et autant de Shows du Refuge. Elle flairera le talent de Jean Leloup à Granby, celui de Catherine Major à Petite-Vallée, épaulera quantité d’artistes de la relève dans des ateliers à Natashquan, Saint-Placide ou Vaudreuil.

Le livre de Carmel Dumas fourmille de ces exemples qui démontrent à quel point Mouffe, aussi discrète fût-elle, a façonné le showbizz québécois avec une approche respectueuse, inclusive, pleine d’ouverture.

Pour peu que je la connaisse, j’ai toujours trouvé que cette femme était l’incarnation de l’efficacité et de la bonté. Cette citation m’a conforté dans mon impression:

«Je crois que l’on obtient plus en laissant croire aux gens que ce sont eux qui ont l’initiative. Moi, je cherche l’harmonie dans la vie. Je recherche que les gens m’apportent leur part et j’apporte ma part aussi. Je n’aime pas crier. Ça me fatigue beaucoup.»

Dans Ordinaire, Mouffe écrit:

«Le jour où moi j’en pourrai pu

Y en aura d’autres plus jeunes plus fous

Pour faire danser les Boogaloos»

J’adore ce passage, et tout autant le regard que son auteure jette sur la vieillesse à la fin de sa biographie:

«Vieillir, c’est la seule justice sur la Terre. Ça arrive à tout le monde qui est vivant. Être vieux n’est pas une tare ou un défaut, c’est un passage. Si tu es en santé, c’est toi qui décides comment tu le traverses… La seule sagesse est de l’accepter.»

Mouffe: Au cœur du showbiz, c’est comme découvrir la face cachée de la lune. Un être attachant. Une lecture attractive!