Photo: Facebook Réserve de parc national de l'Archipel-de-Mingan
9 avril 2020Auteure : Anne Pélouas

Plein air-aventure: du pire au rêve de demain

La crise actuelle oblige les amateurs de plein air et de tourisme d’aventure à faire preuve de beaucoup de patience. Trois spécialistes de tourisme d’aventure racontent dans quelles conditions ils travaillent depuis que les frontières se sont fermées ou que le confinement est en vigueur et comment ils préparent pour vous la sortie de crise, avec l’espoir – comme pour nous tous – qu’elle vienne vite! 



Parcs et entreprises en tourisme d’aventure fermés, obligation de sorties réduites à la proximité des domiciles, accès limités à certaines régions… Le monde du plein air au Québec subit de plein fouet les effets de la crise de la COVID-19 et fournit sa part d’efforts pour réduire au minimum les risques de propagation du virus.

Même chose pour les agences spécialisées en tourisme d’aventure à l’international, dont il faut louer les efforts incroyables accomplis pour rapatrier leurs clients, aider les autres dans leurs démarches d’assurance annulation de voyages, tout en continuant à préparer les séjours de l’été avec un personnel réduit et dans des conditions financières très difficiles.

La crise de mars au Québec

«Nous avons manqué deux ou trois semaines d’activités en fin d’hiver», dit le directeur général d’Aventure Écotourisme Québec (AEQ), Pierre Gaudreault.

Dans cet entre-deux saisons, les effets de la crise semblent limités dans les 135 entreprises en écotourisme et tourisme d’aventure ainsi que dans les 50 parcs régionaux du Québec membres d’Aventure Écotourisme Québec. «Le moral est assez bon et les membres demeurent optimistes», affirme monsieur Gaudreault. Ceux qui travaillent avec une clientèle internationale sont nettement «plus nerveux».

Les plus affectés ces temps-ci sont ceux qui offrent habituellement au printemps des sorties ou des formations en rafting et kayak en eau vive. Pour eux, ce sera zéro revenu.

Les autres ne paniquent pas, mais l’incertitude provoque beaucoup d’inquiétude, note Pierre Gaudreault.

Si les parcs nationaux peuvent recevoir l’aide de leurs MRC respectives, les petites entreprises locales du secteur ne peuvent compter que sur elles-mêmes. «Notre secteur avait le vent dans les voiles en 2019. Tout allait bien, mais certains ont fait des investissements et le ralentissement actuel pèse sur les finances. C’est le calme plat depuis trois semaines. Les écoles fermées ont annulé leurs activités de plein air sans payer; les gens annulent leurs réservations et personne ne réserve pour l’été. Nos entreprises sont donc sans entrées d’argent».

L’AEQ a mis en place une équipe pour les aider à gérer la crise, avec une chaîne téléphonique, la fourniture d’un aide-mémoire sur les actions à prioriser, des conseils pour prendre des arrangements avec leurs fournisseurs et bailleurs de fonds.

Les plus affectés ces temps-ci sont ceux qui offrent habituellement au printemps des sorties ou des formations en rafting et kayak en eau vive. Photo: Rune Haugseng, Unsplash

Rapatriements rocambolesques

Il faut louer les efforts incroyables accomplis depuis mars par les agences de voyages québécoises pour rapatrier leurs clients de l’étranger. Tel fut le cas chez Terres d’Aventure Canada et Karavaniers, nos deux plus importantes agences spécialisées en tourisme d’aventure à l’international, qui travaillent toujours d’arrache-pied, à effectifs réduits et sans recettes nouvelles, pour servir leur clientèle.

Jad Haddad, directeur de Terres d’Aventure Canada, raconte: «Mi-mars a été une véritable course contre la montre car la situation changeait d’heure en heure, avec des pays fermant leurs frontières les uns après les autres, alors que nous tentions de ramener ici une vingtaine de clients se trouvant au Costa Rica, en Afrique du Sud, au Sri Lanka, en Australie, Nouvelle-Zélande, Maroc et Vietnam.» Les quelques employés de Montréal ont dû jouer des pieds et des mains, 24 heures sur 24, pour les épauler, leur trouver des vols de retour qui étaient ensuite annulés…

L’histoire d’un client qui devait partir en Jordanie début mars est éclairante. La veille, le pays ferme sa frontière. Terres d’Aventure lui propose alors de rejoindre plutôt un groupe pour un trek au Maroc. Le client à peine arrivé à Marrakech, le pays ferme aussi ses frontières et le reste du groupe n’arrive pas… «Nous avons dû le prendre en charge à distance et lui trouver un vol via la France.»

Jad Haddad, directeur de Terres d’Aventure Canada, a fait des pieds et des mains pour rapatrier un client qui devait partir en Jordanie début mars. Photo: Emile Guillemot, Unsplash

Richard Rémy, fondateur de Karavaniers et guide, explique de son côté que l’équipe de Montréal «a eu beaucoup d’adrénaline quand il a fallu rapatrier une quarantaine de clients en expédition au Népal et au Maroc. Nous avions sept personnes y travaillant à temps plein et l’un des rapatriements est digne d’un film de James Bond». Un groupe de jeunes adultes québécois traumatisés crâniens et leurs accompagnateurs se trouvaient dans le désert marocain avec leurs guides et éducateurs spécialisés quand l’heure du rapatriement a sonné. «Nous ne voulions pas les séparer sur différents vols et ça nous a pris du temps pour trouver la solution. La compagnie minière canadienne Thyssen cherchait elle aussi à ramener 40 employés du Maroc. On a négocié en secret avec elle pour noliser un avion qui est passé de Montréal à l’Islande, puis par l’Irlande, avant de ramener tout le monde de Marrakech au Québec.» La belle histoire, c’est que Thyssen a finalement pris en charge tous les frais de ce transport aérien!

L'équipe de Karavaniers a eu beaucoup d’adrénaline quand il a fallu rapatrier une quarantaine de clients en expédition au Népal et au Maroc. Photo: Sergey Pesterev, Unsplash

Aide aux annulations

En plus de s’occuper des rapatriements, Karavaniers a dû gérer les annulations de tous les voyages prévus en mars et avril pour cause de COVID-19. «On a travaillé fort et ce n’est pas fini», résume Richard Rémy. Une quinzaine de groupes ne sont pas partis. Il a fallu ensuite conseiller les gens pour qu’ils vérifient leurs couvertures d’assurance et demandent des remboursements.

Même son de cloche chez Terres d’Aventure Canada, où le gros du travail actuel est encore de servir le client en produisant notamment des documents pour faciliter les demandes aux assureurs ou au FICAV (Fonds d’indemnisation des clients d’agence de voyages), qui accepte les requêtes de clients dont les voyages sont annulés dans les 72 heures de la date de départ.

En général, «les clients ont été très compréhensifs sur le fait que nous ne pouvions pas nous-mêmes les rembourser, alors que nous avions déjà payé nos fournisseurs», précise Richard Rémy. Karavaniers travaille – depuis des années souvent – avec des agences locales et des guides qui préparent ses expéditions sur le terrain, au Pérou comme au Népal, notamment. «Pour avoir le meilleur service, on leur avance de l’argent pour qu’ils prennent des réservations, par exemple pour payer les permis d’accès au chemin des Incas. C’est aussi très important pour le futur que ceux avec qui nous travaillons à l’étranger ne perdent pas tout, alors qu’ils n’ont pas le filet social que nous pouvons avoir ici.»

«Nous n’allons pas demander à nos partenaires à l'étranger de nous rembourser alors qu’ils vivent des situations bien pires que les nôtres!» Photo: Adrian Dascal, Unsplash

Jad Haddad tient le même propos. «Certains ont l’impression que nous gardons leur argent, mais ce n’est pas le cas. En plus de tous nos services de conseils aux clients, notre travail de formation des équipes à destination est fait bien avant les départs et nous payons nos fournisseurs d’avance. Nous n’allons pas leur demander de nous rembourser alors qu’ils vivent des situations bien pires que les nôtres!»

Quand vient le temps d’annuler à la dernière minute, le client doit se tourner vers son assureur, mais pour les réservations à venir de mai ou pour plus tard, Terres d’Aventure Canada songe à offrir des crédits-voyage à ceux qui voudraient les annuler.

Karavaniers va s’attaquer bientôt pour sa part aux réservations faites pour des voyages en juin-juillet et pourrait envisager des remboursements partiels à la pièce, en fonction des conditions particulières à chaque destination mais, pour l’instant, aucun voyage pour juin-juillet n’est annulé.

Préparer «l’Après» maintenant

«Malgré un bon début, 2020 s’annonce comme une année catastrophique parce que nous faisons 80% de notre chiffre d’affaires entre janvier et mai, précise Jad Haddad. 2019 ayant été excellente, on devrait passer à travers et repartir sur notre lancée en 2021.» Il croit que l’envie de voyager des amateurs de tourisme d’aventure ne s’envolera pas. «Notre clientèle, ajoute-t-il avec conviction, en est une de gens curieux et avides de découvertes. Ils vont vouloir repartir.»

Richard Rémy pense aussi que les Québécois ne vont pas se fermer au reste du monde, même si le redémarrage risque d’être lent. «Nous espérons que cette pause forcée sera la plus courte possible et n’affectera pas les départs de cet été et de l’automne à l’étranger», précise-t-on sur le site. Karavaniers réfléchit toutefois dès maintenant à une offre alternative d’expéditions en randonnée ou en kayak de mer au Québec. «Nous travaillons déjà avec des membres d’Aventure Écotourisme Québec pour offrir à nos clients des séjours de plus de quatre jours qu’ils n’offrent pas actuellement à leur propre clientèle québécoise: cinq jours en kayak de mer sur le fjord du Saguenay ou dans l’archipel des iles Mingan, par exemple. À nos clients habituels, nous demanderions une inscription sur l’honneur afin de commencer à travailler sur la logistique de ces nouvelles expéditions pour groupes de 12 maximum.»

Karavaniers réfléchit à une offre d’expéditions en randonnée ou en kayak de mer au Québec, notamment dans l’archipel des iles Mingan. Photo: Facebook Réserve de parc national de l'Archipel-de-Mingan

Le plein air de proximité en hausse attendue

Tout le monde s’accorde à dire que le marché du tourisme de proximité va bondir dès que le confinement sera levé et celui du plein air n’échappera pas à la règle. Pierre Gaudreault en est convaincu: «Le tourisme d’aventure au Québec sera dans une situation favorable dès la sortie de la crise parce que les gens vont vouloir s’évader un peu, pas trop loin, en famille ou en petits groupes, pour faire du camping, de la randonnée, une via ferrata ou du kayak. Nous conseillons donc à nos membres de se préparer à une hausse des demandes venues de leurs régions comme à un afflux de visiteurs d’ailleurs au Québec, ce qui compensera au moins en partie une baisse d’accueil de touristes étrangers. Ils doivent dès maintenant penser à adapter leurs produits, par exemple en offrant plus d’activités à la journée que sur plusieurs jours.»

Le tourisme d’aventure au Québec sera dans une situation favorable dès la sortie de la crise. Photo: Facebook Parc de la Chute-Montmorency

Tout en mettant la pédale douce sur leurs dépenses, il leur faut aussi, dit-il, conserver du personnel clé pour planifier leurs opérations et leur recrutement de personnel «en fonction de deux ou trois scénarios: une ouverture en juin, une au 1er juillet ou une plus tard en été. Dans le meilleur des cas, pense-t-il, si la sortie de crise nous permet d’ouvrir la saison en juin, on va sauver les meubles.»

Conseils aux «consommateurs» de plein air

«Il est temps de rêver, de faire des projets, de regarder de la documentation, de lire des guides de voyage, conseille Jad Haddad. Nous étions là pour aider nos clients dans les pires situations. Nous serons là aussi pour concrétiser leurs nouveaux projets, dès que la situation va le permettre.»

Chez Karavaniers, on invite notamment les passionnés à assister à des conférences sur des destinations étrangères en Facebook Live puisque celles prévues ce printemps en région ont toutes été annulées.

Quant à Pierre Gaudreault, il suggère aux amateurs de plein air de profiter de leur confinement pour préparer de belles activités de vacances ou de week-end au Québec et de les réserver dès maintenant pour donner un coup de pouce aux gestionnaires d’activités. Sans danger pour eux puisque la plupart ont d’ores et déjà assoupli leurs conditions d’annulation et de remboursement!