31 mai 2018Auteure : Julie Chaumont

Décrocher «la grosse job» à 60 ans

Le parcours professionnel de Celyne Roy est tout sauf banal. Cette Québécoise amoureuse de voyages a mené une vie de retraitée jusqu’à 40 ans… âge où elle est retournée sur les bancs d’école. C’est à plus de 50 ans qu’elle a eu sa première «vraie» carrière.


Avenues: Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de votre parcours?

Celyne Roy: Je n’ai jamais eu de plan de carrière clair. Au cégep, j’ai changé de programme quatre fois. Je n’avais pas d’idée de ce que je voulais faire, c’est pour ça que j’ai décidé de partir. À 22 ans, j’ai donc quitté le Québec pour la France. J’ai fait un petit tour de l’Europe et je me suis arrêtée à Chamonix pour faire du ski. Je m’y suis fait des amies et je me suis trouvé des petites jobines dans les bars et les restaurants pour payer mon ski. Au bout d’un certain temps, j’y ai rencontré celui qui allait devenir mon mari. Tous les deux, on avait comme projet de vie de faire le tour du monde à la voile.

Comme nous étions deux personnes de montagne qui n’avaient jamais fait de voile de leur vie, nous sommes partis de Chamonix pour nous installer à Fort Lauderdale, en Floride. J’avais alors 24 ans. Je me suis trouvé des petits boulots dans les restaurants français. Nous avons passé l’hiver en Floride, puis nous sommes revenus au Québec pour l’été. Notre mode de vie a été le même pendant quelques années, c’est-à-dire qu’on travaillait l’été et qu’on voyageait l’hiver, dépensant l’argent accumulé pendant l’été. C’était la retraite avant le temps! On n’accumulait pas d’argent pour nos vieux jours, mais on vivait bien avec ça.

À 30 ans, avec ce rêve de tour du monde en voilier qui était toujours dans nos plans, nous avons passé l’hiver à faire du ski à Chamonix, puis nous sommes partis sur la Côte d’Azur, où nous avons trouvé un voilier. On a navigué vers l’Amérique pendant un an, en passant par Gibraltar, le Maroc, les îles Canaries, la Martinique, Porto Rico, les îles Vierges…

A: Vous aviez accumulé assez d’argent pour pouvoir vivre un an sans travailler?

CR: Oui. La vie sur un voilier, ça ne coûte pas cher du tout. Encore moins dans ce temps-là, où nous n’avions pas un million de choses électroniques. C’est une vie sociale extraordinaire. On rencontre beaucoup de monde, on se fait des amis pour la vie.

Par contre, après un an, nous n’avions plus d’argent et nous avons dû retourner à Fort Lauderdale, où nous nous sommes finalement installés.

Au bout de quelques années, on sentait que c’était le temps de repartir, de réaliser notre tour du monde. Nous avons vendu notre appartement pour acheter un nouveau bateau, plus grand. Puis nous sommes repartis.

Nous avons passé l’hiver à naviguer, à nous faire de nouveaux amis, à profiter des plaisirs de la vie. Puis, au printemps, mon mari a voulu retourner au Québec pour remettre de l’argent dans notre caisse. Nous y sommes donc retournés. J’ai travaillé dans les restaurants, où le salaire avec pourboire était très intéressant. Nous avons fait des voyages durant l’hiver suivant, puis nous sommes retournés travailler au Québec l’été. Au troisième hiver, sentant que mon mari n’avait plus le cœur à repartir, je lui ai demandé s’il préférait qu’on vende le voilier… et il a dit oui. Nous avons donc vendu le bateau. J’étais très déçue que notre rêve tombe à l’eau. Moins de deux ans plus tard, nous nous sommes séparés.

Je me retrouvais donc à 47 ans, séparée, sans emploi. Je me suis dit qu’il fallait que je reprenne ma vie en main.

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A: Qu’avez-vous fait pour reprendre votre vie en main?

CR: J’étais tombée en amour avec l’Espagne lors d’un voyage de trois semaines que j’avais fait quelques années auparavant. Je voulais m’y installer, mais je savais que je serais incapable de m’y trouver un emploi sans diplôme. Je suis donc retournée à l’école, à Montréal, aux HEC. J’ai été me chercher un diplôme en informatique. Puis j’ai fait un MBA à l’École de gestion John-Molson. J’ai eu mon diplôme à 50 ans. J’étais la plus vieille de ma classe!

A: Vous êtes partie en Espagne par la suite?

CR: Oui. J’ai fait mes valises et je suis partie pour Barcelone. Je suis arrivée en pleine crise économique et me trouver un emploi n’a pas été facile. J’ai commencé par donner un cours de gestion par semaine dans un collège privé. J’ai ensuite travaillé à l’aéroport de Barcelone. Ça ne payait que 700 euros par mois, mais ça m’a permis de parfaire mon espagnol.

J’ai trouvé ma première bonne job par la suite, dans un organisme à but non lucratif qui fait du développement durable en Inde. J’ai travaillé dans leur département d’informatique comme chef de projet pour les logiciels de gestion.

Puis, ma plus grande réussite: à 60 ans, Nespresso est venu me chercher pour aller travailler dans son département d’informatique. J’ai donc la plus grosse job de ma vie maintenant!

A: La vie de bohème, remplie de voyages, ne vous manque pas?

CR: Comme je suis en Europe, je saisis toutes les opportunités de voyages qui passent. En décembre, j’étais à Lisbonne; le mois dernier, j’ai été passer cinq jours à Dublin; l’été passé, j’ai été au Japon… une fin de semaine sur trois, je ne suis pas chez moi!

A: Et le Québec, dans tout ça? Votre famille et vos amis ne vous manquent pas?

CR: Il n’y a pas ce que je cherche dans la vie au Québec, malheureusement. Pour ce qui est de la famille, c’est sûr que ma mère, qui vient d’avoir 90 ans, est très triste de mon absence et me manque beaucoup. Je m’ennuie aussi de mes amis, que je vois en rafale lorsque je reviens au Québec.

A: Vos parents vous ont-ils encouragé à poursuivre vos voyages lorsque vous étiez jeunes, ou étaient-ils plutôt inquiets pour votre avenir?

CR: Mes parents ne m’ont jamais découragée, mais n’ont jamais compris comment on pouvait vivre comme ça, sans construire quelque chose de solide pour notre avenir. Mon père, qui était entrepreneur, a trouvé ça particulièrement difficile. Ma mère a plutôt souffert émotionnellement de mon absence. Elle en souffre encore d’ailleurs aujourd’hui!

A: Avez-vous des plans pour les années à venir?

CR: Où je vais finir, je ne le sais pas. C’est sûr que pour l’instant, je n’ai pas assez d’argent pour prendre ma retraite. Je risque de travailler aussi longtemps que je peux! Dans ma tête, quelque part, je pense que je vais ouvrir un bed and breakfast sur la Costa Brava. Je pourrais finir mes jours comme ça!