Lutter contre l’autoexclusion des travailleurs expérimentés
À 60 ans, c’est la tuile pour André Bourdua. En avril 2021, son employeur, pour lequel il travaille depuis 15 ans comme directeur des ventes et directeur de compte, lui annonce que son poste est aboli.
«J’étais stressé et pressé. Ça faisait 35 ans que je n’avais pas cherché une job, raconte-t-il. Tout ce que j’avais à montrer, c’était un vieux CV jauni de quatre pages.»
Le conseiller en ressources humaines de son ex-employeur lui recommande de communiquer avec Cible-Emploi, un organisme en employabilité de sa ville, à Saint-Eustache. Coup de chance: l’organisme l’informe qu’il accueillera le lundi suivant une nouvelle cohorte du programme Transition-emploi 45 ans+, qui peut l’initier à tout ce qu’il lui faut savoir pour trouver un emploi en 2021. «J’étais là, lundi matin, à 10 heures.»
CIBLE-Emploi est un des 33 organismes en employabilité du Québec qui se spécialisent dans l’aide aux travailleurs expérimentés. On peut les identifier à travers le Répertoire des organismes spécialisés en employabilité d’Emploi Québec, ou la plateforme Trouve ton X de AXTRA, l’Alliance des centres-conseils en emploi. «Sur 400 organismes en employabilité, je dirais qu’une bonne moitié sont en mesure d’aider les travailleurs expérimentés, dit Valérie Roy, directrice générale d’AXTRA. Mais certains, comme CIBLE-Emploi, Midi40 à Laval ou Novem à Drummondville, offrent des services et des programmes particuliers.»
L’enjeu du maintien au travail des travailleurs expérimentés en raison de la pénurie de main-d’œuvre au Québec est criant. Les employeurs ne trouvent personne pour 150 000 à 200 000 postes à pourvoir, alors que 1,4 million de baby-boomers prendront leur retraite d’ici dix ans. Or, si le Québec a un taux d’emploi plus élevé que l’Ontario pour presque toutes les tranches d’âge, c’est le contraire chez les 60-69 ans, à 33% au Québec contre 39% en Ontario. Garder les travailleurs expérimentés au travail n’est pas qu’une nécessité macroéconomique: seulement le tiers des travailleurs ont accès à un régime de retraite de leur employeur.
Selon Amélie Gaumond, directrice générale, opérations chez CIBLE-Emploi, l’âgisme est un problème réel, mais il existe aussi une barrière psychologique chez les travailleurs eux-mêmes. «Nous faisons beaucoup d’activités pour informer les entreprises sur l’employabilité des travailleurs expérimentés, mais il faut que les travailleurs eux-mêmes cessent de se croire trop vieux et de s’autoexclure. Nos programmes visent à leur redonner confiance dans leurs acquis et à leur enlever la barrière de l’âge de la tête.»
Chez CIBLE-Emploi, où la moitié de la clientèle a plus de 45 ans, les services ont été considérablement étoffés depuis 20 ans, dont ce qu’Amélie Gaumond appelle sa «Cadillac», le programme Transition-emploi 45 ans+, qu’André Bourdua résume comme «un cours avancé en recherche d’emploi».
Combattre l’usure du travail
Carine Lévesque, qui assure cette formation depuis presque 20 ans, explique que le premier mois est consacré à se poser et à se reposer. «C’est le mois de l’introspection. Nos clients nous arrivent à bout, je dirais même usés. On fait de la remise en forme psychologique.»
André Bourdua admet s’être posé bien des questions quand il s’est vu remettre un gros cartable plein de documents et de questionnaires sur la connaissance de soi. «Mais j’ai compris que c’était une occasion d’observer et d’apprendre», raconte-t-il.
Pendant cette phase introspective, les participants doivent évidemment répondre aux sempiternelles questions «qu’est-ce que je sais faire?», «quelles sont mes forces?», «mes traits de personnalité?». Mais il s’agit aussi de réfléchir à ce que sont maintenant leurs intérêts et à ce que Carine Lévesque appelle leurs «critères de réalité». «Est-ce qu’ils veulent encore faire 75 km de voiture pour aller travailler? Faire 40 heures? On les questionne aussi beaucoup sur le pourquoi. Travailler pour être millionnaire, ce n’est pas la même chose que pour s’occuper, se rendre utile ou pour se tenir en santé.»
Amélie Gaumond explique qu’il est très rare qu’une personne devienne incompétente – autre mythe de l’âgisme. «D’habitude, ils sont juste tannés de ce qu’ils faisaient, de leur employeur, du produit, ou de l’auto. Souvent, leur problème est plus le milieu ou le cadre que l’emploi comme tel. Dans d’autres cas, c’est le contraire: ils veulent complètement faire autre chose et il faut alors voir leurs acquis. Un ancien vendeur d’autos, par exemple, peut avoir de très bon acquis en service à la clientèle ou en mécanique.»
À la base, ce qui distingue le programme Transition-emploi 45 ans+ des services habituels, c’est la prise en charge en groupe. Du lundi au vendredi, les participants se présentent à 10 heures pour deux heures d’activités en groupe, suivies de rencontres individuelles avec des personnes-ressources. «Il s’installe une belle dynamique de groupe. Ils se donnent des conseils et ils voient qu’ils ne sont pas seuls, raconte Carine Lévesque. Ceux qui se replacent très vite sont parfois déçus de ne pas finir le programme.»
L’art de trouver un boulot
Quand l’introspection est terminée et que le participant a établi ses plans A, B et C, on passe au deuxième mois, celui des travaux pratiques.
Là, ça déboule, se rappelle André Bourdua: des formations sur le réseautage, sur la recherche d’emploi sur le web et la création d’un bottin d’employeurs, sur le CV, sur les techniques d’approche. «On a fait des CV virtuels, dit-il, et des entrevues filmées pour voir à quoi on ressemble en personne.»
Au besoin, les orienteurs recommanderont des formations plus pointues. «On a beaucoup de mises à niveau de compétences, en informatique, par exemple. Les gens qui ont passé 20 ans dans une entreprise étaient parfois forcés de travailler avec des logiciels désuets», explique Carine Lévesque. Parfois, certains vont avoir besoin d’aller chercher un diplôme d’études professionnelles (DEP), des études pouvant durer jusqu’à 18 mois. «C’est plus rare. Notre travail est de préparer les gens à l’emploi pour une transition.»
Quand tout est en place, les participants entament alors la recherche d’emploi intensive. Carine Lévesque les voit deux jours par semaine pour discuter de ce qui marche ou pas, et pour les remotiver quand ça ne marche pas immédiatement.
André Bourdua a vu la différence. Le programme l’a convaincu qu’il peut trouver mieux – à son âge. Et surtout, qu’il pourrait encore travailler au moins jusqu’à 70 ans, comme il le souhaitait. Le programme l’a amené à ne considérer qu’une série d’employeurs potentiels, ceux qui lui permettront de former les plus jeunes, et seulement au nord de Montréal. À sa sixième entrevue, il vient de trouver – au moment de publier, il finissait de négocier ses conditions d’embauche.
Les spécialistes et les généralistes
Parmi les trois douzaines de centres d’employabilité qui œuvrent auprès des travailleurs expérimentés, certains sont encore plus spécialisés. Midi40, à Laval, et Novem, à Drummondville, ne se consacrent qu’à cette clientèle. Et dans le cas de Midi40, plusieurs programmes sont même destinés aux cadres et aux professionnels.
Cette spécialisation est souvent une affaire de goût et d’histoire. Chez CIBLE-Emploi, le programme Transition-emploi 45 ans+ découle des travaux d’une employée, Lise Simard, qui avait écrit entre 2001 et 2004 une thèse de 600 pages sur les défis d’emploi des 50 ans et plus. Outre l’impact qu’il a eu chez CIBLE-Emploi, cet ouvrage a servi de guide d’intervention auprès des travailleurs expérimentés pour la plupart des organismes.
Valérie Roy explique que même les organismes plus généralistes ont souvent leur couleur et leur manière de fonctionner. Certains sont davantage spécialisés dans le retour sur le marché du travail ou l’amélioration des conditions de vie, ou la conciliation travail-proche aidance. À Montréal, l’Agence Ometz se consacre aux personnes handicapées de 45 ans et plus. APE, à Québec, réintègre les ex-travailleurs du sexe.
À toute personne qui ne trouverait pas, elle conseille de démarrer sa recherche par une démarche du côté d’Emploi-Québec, qui sous-traite toute la formation en employabilité et qui connaît le mieux l’ensemble des organismes homologués. «L’un des freins au système, actuellement, est le fait que l’accès à un service est lié au code postal, mais pas nécessairement. Les gens chez Emploi-Québec peuvent vous diriger.»
«Mais, de grâce, utilisez les services. Vous en avez sûrement plus besoin que vous pensez, conseille André Bourdua. Non seulement c’est gratuit, mais c’est offert partout au Québec et ils nous prennent au sérieux.»