Paris sera toujours Paris
Après avoir passé quelques jours à Nantes et dans le Beaujolais, je pose ma valise dans la Ville Lumière avant de reprendre l’avion vers Montréal. Des retrouvailles riches en émotions.
J’aimerais faire la fête dans un tableau de Toulouse-Lautrec. Danser au Bal du moulin de la Galette de Renoir. Voir le train entrer à la gare d’Orsay. Écouter les conversations au Procope comme dans les bouillons destinés aux ouvriers à l’époque du cinéma muet. Retrouver Paris comme on embrasse un passé qu’on n’a pas connu.
Cette étrange nostalgie pour des époques que je n’ai pas vécues, je l’ai toujours ressentie dans la Ville Lumière. Avec la pandémie, «l’avant» et son parfum rassurant me donnent envie de revisiter la Belle Époque et les Années folles, deux périodes effervescentes qui ne cessent de me fasciner.
Retrouver Paris pour s’enivrer de ses légendes. Choisir l’errance pour oublier les écueils d’un présent encore trop teinté par des mois d’angoisse, masque bien vissé au visage.
Euphorique, je déambule sur les Champs-Élysées comme si c’était la première fois. Un distributeur de gel hydroalcoolique et des tentes aménagées pour des tests de COVID-19 me ramènent dans le présent. Tiens, la FNAC vend des vélos électriques...
Au Musée d’Orsay, je plonge dans les tableaux comme on feuillette un album de photos. Me retrouver devant ces images familières fait remonter en moi les souvenirs épars de mes rencontres avec la ville, d’abord par la littérature, le cinéma et la télévision, puis au hasard de mes pas depuis deux décennies. Je me dis que Gustave Courbet, version 21e siècle, aurait été le roi du selfie et de la mise en scène de soi.
Grâce à la réalité augmentée, mon audioguide transforme la salle principale en gare, dans toute sa splendeur de jadis. J’ai soif de beau et d’extraordinaire. De culture et de douce rêverie.
À l’Hôtel Napoléon, cadeau de mariage d’un riche entrepreneur russe à l’étudiante en lettres de qui il était tombé follement amoureux lors d’un voyage d’affaires en France, dans les années 1920, j’assiste aux premières loges à l’empaquetage controversé de l’Arc de Triomphe par l’équipe de Christo et Jeanne-Claude. Si les quelque 25 000 mètres carrés de tissu déployés ont de quoi impressionner, ce sont surtout les ouvriers suspendus pour réaliser l’installation qui me captivent. Décédé en 2020, Christo rêvait de ce projet depuis les années 1960.
On décrit Christo et Jeanne-Claude comme des artistes de la démesure. «Le couple dissimule l’évidence pour mieux la donner à voir, dans un geste d’une grande poésie», écrit Beaux-Arts Magazine. Quelque chose m’émeut profondément dans la méticuleuse préparation à laquelle ils se sont astreints au fil des décennies pour créer l’éphémère. Des années de labeur pour un instant. La fugacité pour tisser sa légende. On a beau ne pas comprendre la démarche artistique, il y a quelque chose de puissant dans l’idée d’un rêve porté au-delà de la mort comme celui que je vois se matérialiser. Complètement autofinancée, comme toutes les créations du tandem, l’œuvre dévoilée le 18 septembre sera visible jusqu’au 3 octobre.
Paris tenus
Paris est une ville qui se découvre au gré de ses obsessions du moment. Chez Pierre Hermé, pour goûter la nouvelle collection de macarons. Au 5 bis, rue de Verneuil, pour aller saluer Gainsbourg. Dans le Montmartre d’Amélie Poulain. Chez Victor Hugo, place des Vosges, pour regarder par la fenêtre de l’écrivain. Au Bouillon Julien, pour les superbes fresques Art nouveau (mais pas pour le contenu de l’assiette!). En empruntant la Coulée verte au pas de course, dans le 12e arrondissement, là où circulaient jadis les trains. Aux Galeries Lafayette, pour les vitraux de style néo-byzantin de la coupole du hall principal plus que pour le shopping. À Montparnasse, pour Hemingway et Fitzgerald. Sur les quais de la Seine, interdits aux voitures depuis quelques années, pour un voyage dans le temps façon Midnight in Paris. Dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, que bien des Parisiens abhorrent, pour invoquer les fantômes de Simone et Jean-Paul (il me semble impossible de les appeler «de Beauvoir et Sartre» tant ils ont fait partie de ma vie de jeune adulte).
Fraîchement rouvert après une remise en beauté orchestrée par l’architecte d’intérieur Pierre-Yves Rochon, le mythique Café de la Paix, place de l’Opéra, n’a rien perdu de sa superbe. L’adresse emblématique se trouve dans l’Hôtel Intercontinental Le Grand, dont l’histoire est intimement liée au développement du quartier. «Il faut s’imaginer que le Grand Hôtel a été construit avant même l’Opéra Garnier», rappelle Diane-Laure Dudoué, directrice des communications. Certaines spécialités, comme la soupe à l’oignon et le millefeuille, étaient déjà sur la carte en 1862.
«Le Grand Hôtel, c’est le Paris rêvé d’un étranger, dit cette grande amoureuse de l’hôtellerie qui a déjà vécu à Montréal. C’est une plongée dans le Second Empire, avec des vues extraordinaires sur tout Paris et des lieux classés monuments historiques.»
Construit en 1862 à la demande de Napoléon III, le Grand Hôtel a été inauguré par l’impératrice Eugénie. «À l’époque, c’était le plus grand hôtel d’Europe, poursuit Mme Dudoué. Il comptait 800 chambres. C’était à l’époque des travaux du baron Haussmann.»
Nouvelle propriété du groupe, le Kimpton St-Honoré, inauguré le 23 août 2021, à deux pas du Grand Hôtel, propose de séjourner dans l’ancienne Samaritaine de Luxe, grand magasin où toutes les grandes marques se côtoyaient dès 1905. La façade Art nouveau date de 1917.
Depuis la terrasse sur le toit, on aperçoit la tour Eiffel et l’Opéra Garnier. L’hôtel boutique de 123 chambres et 26 suites nous transporte dans une tout autre atmosphère tout en restant résolument chic.
Je remonte le temps encore plus loin, à l’Hôtel de la Marine qui, malgré son nom, est un nouveau musée inauguré en juillet 2021, place de la Concorde. Ancien garde-meuble de la Couronne, l’ensemble architectural créé au 18e siècle par Ange-Jacques Gabriel, premier architecte du roi, a abrité le ministère, puis l’état-major de la marine de 1789 à 2015. C’est ici qu’ont été prises les plus grandes décisions de la marine française, toutes époques et tous régimes politiques confondus. Victor Schoelcher y a notamment préparé le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises adopté le 27 avril 1848.
Un casque à la fine pointe de la technologie me transporte dans l’histoire fascinante de ce lieu qui n’est pas sans rappeler le château de Versailles. J’ai l’impression que Stéphane Bern pourrait surgir à chaque instant.
Après avoir écarquillé les yeux dans les salons d’apparat, je fais connaissance avec certains personnages marquants, dont Jeanne Barret, première femme à avoir fait le tour du monde au 18e siècle. Les femmes étant interdites à bord des bateaux au moment de son départ, en 1768 – on disait qu’elles portaient malheur en mer –, la gouvernante, maîtresse et assistante du botaniste Philibert Commerson s’est fait passer pour son valet. Elle sera démasquée sur l’île de Tahiti et rentrera au bercail… sept ans après son départ. Je me promets de revenir visiter l’entièreté de ce lieu exceptionnel.
Au-delà des mythes
Paris sera toujours Paris. Chaque pierre semble dissimuler un secret. Quand je regarde la silhouette de la Dame de fer, je ne vois pas la tour qui orne les babioles des boutiques de souvenirs, mais l’héritage de l’Expo universelle de 1889, prouesse technique décriée par plusieurs grands noms de l’époque devenue un symbole. J’entends presque la rumeur de la ville au moment de son inauguration, cent ans après la Révolution...
Bien entendu, le passé comporte aussi des chapitres plus sombres. Quatre cents indigènes peuplaient les villages reconstitués des pavillons coloniaux lors de la même exposition. Les «zoos humains» et le racisme scientifique ne semblaient alors faire sourciller personne. Et puis, avant que les premières lanternes éclairent ses rues en 1665 – de là son surnom de Ville Lumière –, Paris était un véritable coupe-gorge…
Mon Paris idéalisé n’inclut pas non plus l’odeur de cigarette, les voleurs à la tire et un certain cynisme ambiant. Le bon côté des mythes, c’est qu’on a le luxe de les choisir a posteriori, tout en se rappelant que le présent a appris du passé.
P.S. L’Hôtel Napoléon appartient toujours à la même famille, 90 ans plus tard. Si, comme moi, vous êtes fasciné par Toulouse-Lautrec, il faut absolument visiter le musée qui lui est consacré à Albi, sa ville natale, près de Toulouse.
Pratico-pratique:
- Le gouvernement du Canada recommande toujours d’éviter tout voyage non essentiel.
- En plus des hôtels mentionnés dans ce texte, une nouvelle adresse qui mérite le détour: l’hôtel Maison Mère, ouvert depuis moins d’un mois, dans le 9e arrondissement. Résolument moderne, l’hôtel d’une cinquantaine de chambres compte aussi un restaurant et un espace de coworking. Un gros coup de cœur. À partir de 130 euros/nuit, mais parfois moins cher selon le jour de la semaine.
- Pour voyager en France, il est nécessaire de faire convertir son certificat de vaccination en passe sanitaire français. Pour toutes les infos pratiques, visitez le site du Consulat de la France à Montréal.
- Sur place, le passe sanitaire est exigé dans tous les restaurants, bars, cafés et terrasses et de façon aléatoire dans les trains.
Chronique rédigée au son de la musique de Pomplamoose et de Zaz, qui ont repris plusieurs classiques de la chanson française. Merci à Atout France pour le coup de pouce logistique et à Paris région pour l’accès aux musées et aux transports en commun. J’étais l’invitée de certains lieux mentionnés dans ce texte. Toutes les opinions émises sont 100% les miennes.