L’industrie de la vieillesse: 11 capsules-chocs sur le vieillissement au Québec
En mai dernier, en pleine hécatombe dans les CHSLD, j’ai attiré votre attention sur un documentaire plutôt impressionniste qui nous montrait à quoi ressemblait la vie dans les résidences pour personnes âgées avant que la COVID n’apparaisse. Le film Le Château soulevait beaucoup de questions, mais pas tant de réponses. Dans une suite qui se révèle assez percutante, le même réalisateur, Denys Desjardins, brosse un portrait alarmant de l’avenir qu’on réserve aux aînés. Un constat qui nous concerne tous, car personne n’échappe au vieillissement.
Plutôt que de faire un film qui ne serait pas vu, les cinémas étant fermés jusqu’à tout récemment, Denys Desjardins a choisi la formule de la série destinée au web. C’est ICI Tou.tv qui a l’exclusivité de ces 11 capsules qui durent en moyenne 10 minutes chacune. Regroupées sous le titre L’industrie de la vieillesse, on pourra les visionner gratuitement à compter du 3 mars.
La série commence avec un rappel nostalgique de la manière dont on s’occupait des vieux autrefois. Le réalisateur ressort de belles images du film de Pierre Perreault, Pour la suite du monde, pour évoquer le temps où le placement des personnes âgées n’était pas un enjeu, car les familles étaient nombreuses, les communautés religieuses très impliquées dans les soins de santé, et on mourrait beaucoup plus jeune.
Dès le deuxième épisode, on nous sert le premier de plusieurs électrochocs. Les statistiques sont implacables: en 2031, 1 Québécois sur 4 sera un aîné. Le quart de la population! 2031, c’est dans 10 ans! Après le Japon et la Corée du Sud, le Québec est l’endroit au monde où la population vieillit le plus rapidement. Dans 15 ans, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans va passer de 200 000 à 400 000.
Alors, qu’est-ce qu’on fait avec cette population dont l’espérance de vie dépasse désormais les 90 ans? On les parque dans des résidences privées pour aînés? On prévoit construire 100 000 unités locatives pour personnes âgées d’ici 2035. Même les investisseurs chinois ont flairé le pactole. Mais qui s’occupera de cette clientèle? Il y a déjà une pénurie de main-d’œuvre, et celle qui est à l’œuvre, mal rémunérée, est majoritairement issue de l’immigration.
Aussi, qui payera pour les soins dont les personnes vieillissantes auront tôt ou tard besoin? Le gouvernement peine déjà à le faire, et ce n’est pas tout le monde qui peut se payer les services que le système public délègue au privé. Est-ce qu’on se prépare à une vieillesse à deux vitesses? Et que deviendront les CHSLD, qui souffrent déjà de sous-financement, où, pourtant, les listes d’attente ne cessent de s’allonger?
D’un épisode à l’autre, Denys Desjardins multiplie ce genre de questions. Les intervenants qui défilent devant sa caméra pour nous aider à y voir plus clair sont très intéressants à écouter. Que ce soit le gériatre Réjean Hébert, le PDG du Regroupement des résidences pour aînés, Yves Desjardins, le préposé aux bénéficiaires Délès Jean, la travailleuse sociale Marie-Josée Gauthier, Me Paul Brunet du Conseil pour la protection des malades, pour ne nommer qu’eux, chacun parle avec son cœur sans essayer de défendre le système dans lequel ils évoluent présentement.
Les constats qu’ils font sont d’un réalisme inquiétant. Leur connaissance intime du milieu les amène cependant à des solutions concrètes, comme investir plus massivement dans les soins à domicile, relâcher les mesures qui régissent l’âge de la retraite, diminuer la dépendance des personnes âgées aux médicaments, valoriser le travail en milieux de soins de longue durée, mettre le haro sur les agences, etc.
Si rien n’est fait d’ici 2031, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas ce qui nous attendait.
VU: The United States vs. Billie Holiday
Pour moi, Billie Holiday est une des plus grandes chanteuses qui soient. Le spleen que sa voix unique dégage me chavire. Ça fait longtemps que je l’écoute. Je connaissais les grandes lignes de sa vie: née dans un milieu très pauvre, devenue une grande vedette de la scène musicale dans les années 1930, morte en juillet 1959 à 44 ans après deux décennies d’une carrière marquée par de grands succès, une vie amoureuse désastreuse, et de terribles abus de drogue et d’alcool. Mais voilà que sort un film qui ajoute une nouvelle dimension à ce personnage hors-norme.
Dans The United States vs. Billie Holiday, quel titre évocateur!, Billie Holiday nous est présentée comme rien de moins qu’une précurseure de la défense des droits des Noirs, avant Martin Luther King ou Rosa Parks. Une démonstration qui n’hésite pas à utiliser le mot en N pour bien traduire son époque. Dans le contexte du mouvement Black Lives Matter, disons que cette production arrive pile.
Le fil conducteur du film de Lee Daniels (Monster’s Ball, Precious, Empire), d’après un scénario de Suzan-Lori Parks, s’articule autour d’une chanson que Billie Holiday a interprétée et qui lui a valu d’être inquiétée pendant toute sa carrière par les autorités américaines. Voici quelques paroles de Strange Fruit, dont le texte parle de l’horreur du lynchage, cette pratique instaurée en Virginie par Charles Lynch au 18e siècle, qui a ensuite fait la marque de commerce du Ku Klux Klan.
Southern trees bear a strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black bodies swingin' in the Southern breeze
Le film illustre dans le détail les conséquences que la chanteuse a subies pour avoir maintenu à son répertoire cette chanson dramatique décrivant l’horrible sort réservé à ses semblables par des racistes impunis.
Pour faire taire cette artiste adulée des Noirs et des Blancs, les autorités se sont attaquées à son point faible, sa dépendance aux drogues. L’agence antinarcotique la fait suivre par un agent double de race noire. Le renseignement que ce dernier accumule au contact de Billie Holiday mènera à son arrestation, à sa condamnation et à son emprisonnement. À sa sortie du pénitencier, on l’empêche de se produire dans les salles new-yorkaises qui ont un permis d’alcool, ce qui l’oblige à faire de longues tournées beaucoup moins lucratives, et de nature à la replonger dans ses mauvaises habitudes de consommation et à exacerber la relation toxique qu’elle entretient avec les hommes de sa vie.
Le scénario, très touffu, ne nous épargne pas beaucoup de détails sur la vie dissolue de celle qu’on appelait Lady in blue. Entre l’ancien mari et le nouveau, pareillement violents, l’agent double qui tombe en amour avec elle, les musiciens et le personnel flamboyant qui tournent autour d’elle, les flashbacks pas évidents, j’ai fini par m’y perdre d’autant plus que l’anglais parlé m’a été très difficile à comprendre.
Par contre, The United States vs. Billie Holiday offre plusieurs numéros chantés absolument sublimes. Andra Day, qui en est à son premier rôle au cinéma, nous mystifie. Quand elle chante, c’est avec une voix semblable à celle qu’elle incarne, et avec autant d’intensité.
Quand elle joue, toute la gamme des émotions y passe. On y voit autant la battante qui brillait sur scène vêtue de ses plus beaux atours que la femme meurtrie et usée par l’alcool et les drogues qu’elle s’injecte. Andra Day est en nomination pour deux prix aux Golden Globe Awards dimanche, celui de la meilleure interprète féminine et celui de la chanson originale, Tigress and Tweed. Si elle gagne, ce sera très mérité.
Le dossier de presse ne mentionne pas que cette production indépendante américaine a été tournée à Montréal (en 2019). Si vous avez l’œil, vous reconnaîtrez la Cour d’appel de la rue Notre-Dame, le Cinéma Impérial ou le Lion d’Or. On peut être fier de notre expertise québécoise en cinéma, car il s’agit là d’une somptueuse reconstitution historique.
Le film est disponible en vidéo sur demande à partir du mardi 2 mars, en version anglaise seulement.