Pleins feux sur Pierre Cardin, l’omnidesigner français
Saint Laurent, Gaultier, Mugler, Dior, Lagerfeld, Chanel… le cinéma et les musées aiment raconter les légendes de la haute couture. Au tour de Pierre Cardin. Les réalisateurs américains P. David Ebersole et Todd Hughes lui font la fête dans un documentaire passionnant intitulé House of Cardin, à voir en exclusivité au Cinéma du Musée.
House of Cardin est un film jubilatoire. D’abord parce que le personnage est un visionnaire, une force de la nature, un gagnant qui, à 98 ans aujourd’hui, est toujours là pour défendre son parcours, ses choix, ses ambitions.
Ici, on est dans la biographie autorisée. Cardin s’est prêté à de longues entrevues. Pour illustrer son cheminement, il a donné accès à 70 ans d’archives. Pour montrer qu’il est toujours actif, il a accepté qu’on le suive dans ses activités qui sont encore très nombreuses malgré son âge. À cela s’ajoutent des témoignages de sa garde rapprochée, de vedettes qui ont croisé son chemin (Alice Cooper, Dionne Warwick, Sharon Stone), de collectionneurs de son travail (les Japonais sont fous de Cardin), de créateurs qui lui doivent leur première chance (Philippe Starck, Jean-Paul Gaultier).
Né en Italie en 1922, Pietro Costante Cardine naît de nouveau dans le Paris d’après-guerre. En 1945, les circonstances font qu’il se retrouve à confectionner les costumes du film La Belle et la Bête de Jean Cocteau. Dans la foulée, Christian Dior l’embauche. À 24 ans, le jeune tailleur autodidacte fait fureur. À 28 ans, il ouvre sa propre maison de couture. Nous ne sommes qu’en 1950! Pendant les 70 années qui suivront, Pierre Cardin ne cessera de foncer en avant.
On lui doit la robe bulle, le prêt-à-porter, la mode futuriste, les vestons sans col des Beatles, les logos sur les vêtements, l’apparition de la diversité chez les mannequins, le premier défilé masculin, sans compter une présence dans le design de meubles, de lunettes, de voitures, et même d’avions. Ce qui est formidable, c’est que le film a des images pour montrer tous les aspects de la créativité de Pierre Cardin et le côté tentaculaire de son empire qui a des antennes dans plus d’une centaine de pays et fait travailler 90 000 personnes. Pas étonnant qu’il soit l’un des cinq Français les plus connus dans le monde.
La vie privée de Pierre Cardin réserve aussi des surprises. Cet homme a partagé un temps la vie de l’actrice Jeanne Moreau qui dit l’avoir quitté parce qu’il ne voulait pas lui faire un enfant. Il a aussi une longue relation avec André Oliver qui l’a assisté pendant 40 ans avant de mourir du sida en 1993.
Mais ce n’est pas tout. Pierre Cardin est le seul couturier à être membre de l’Académie des beaux-arts de France, il est aussi propriétaire du mythique restaurant Maxim’s de Paris, une marque qu’il a développée dans le monde entier. Il a longtemps possédé l’Espace Cardin, salle de spectacles qui présentait autant Marlene Dietrich qu’Alice Cooper ou la pièce Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay. Aujourd’hui, à près de 100 ans, il veille aux destinées du festival de Lacoste au cœur du Luberon, qu’il a fondé en 2001. L’édition 20e anniversaire, présentée maintenant, accueille entre autres Andrea Bocelli, Gérard Depardieu (à qui il a donné sa première chance en 1974) et le spectacle La Voix humaine de Jean Cocteau.
Quel est le secret de la longévité de Pierre Cardin? L’amour du travail et une volonté inextinguible d’aller toujours de l’avant. Voilà un film dont on sort ragaillardi.
VU: Cercania de Rafael Lozano-Hemmer
Après l’événement Imagine Van Gogh, l’immense salle de 18 000 pieds carrés de l’Arsenal Art contemporain Montréal, dans Griffintown, accueille les plus récentes créations audiovisuelles immersives de Rafael Lozano-Hemmer.
Né au Mexique, installé au Québec et reconnu à travers le monde, Rafael Lozano-Hemmer est un artiste plutôt singulier. Il est venu à l’art après des études en chimie physique, ce qui confère un côté scientifique à son travail. Ses œuvres, qui ont recours à différentes formes de technologie, sont toujours conçues de manière à inclure le spectateur. Reconnaissance faciale, utilisation de votre fréquence cardiaque, détecteur de mouvements… plusieurs de ses installations réagissent à la présence du visiteur, d’autres obligent ce dernier à se positionner sur des réalités du monde d’aujourd’hui, comme la violence quotidienne dans les villes américaines.
Ses propositions – l’exposition en compte une douzaine – sont techniquement complexes à réaliser et nécessitent qu’il travaille avec des équipes multidisciplinaires. Par exemple, l’installation Champ d’atmosphonie, présentée en première mondiale, compte 2 304 haut-parleurs dotés de lumières DEL, suspendus à 3,5 mètres du sol, diffusant une variété de sons enregistrés dans la nature (chants d’oiseaux, bourdonnements d’insectes, crépitements de feux, clapotis de vagues, etc.), qui se font entendre en superposition avec leur illumination. C’est comme un tableau vivant.
Avec Paréidolium, Rafael Lozano-Hemmer vous tire le portrait alors que vous scrutez un miroir d’eau, un portrait éphémère créé à l’aide de centaines d’atomiseurs à ultrasons contrôlés par ordinateur.
Les intentions de l’artiste ne sont pas toujours faciles à comprendre et les explications apparaissant sur les cartels sont assez rudimentaires. Heureusement, des médiateurs culturels se trouvent dans la salle pour donner plus d’informations, mais, honnêtement j’ai trouvé difficile l’interaction avec ces guides évidemment masqués pour respecter les consignes de la santé publique.
LU: Carnet d’un promeneur dans Montréal de Dinu Bumbaru, Les Éditions La Presse
Après son best-seller Promenade dans le passé de Montréal coécrit avec Laurent Turcot, Dinu Bumbaru propose un nouvel ouvrage sur la métropole québécoise.
Dans le livre précédent, il nous racontait la ville avec des photos tirées des riches archives du journal La Presse. Cette fois-ci, il partage avec nous les croquis qu’il a fait de lieux emblématiques (ou pas) de la ville de Montréal.
J’ai toujours connu Dinu Bumbaru comme un ardent défenseur du patrimoine montréalais, mais je ne lui connaissais pas ce talent de dessinateur.
L’homme profite de ses déplacements en autobus pour dessiner ce qu’il voit. «Chaque croquis est fait sur place, à la mine de plomb, sans droit à l’efface», dit-il. Pour lui, dessiner est un acte citoyen qui permet de s’approprier la ville, de veiller sur elle.
Le livre compte 200 dessins choisis parmi des milliers consignés dans des carnets rigides assez petits pour être transportés dans une poche de manteau.
Dinu Bumbaru nous amène aux quatre coins de Montréal, mais, en habitué de l’autobus 80, il semble avoir un faible pour l’avenue du Parc où il a croqué au fil des ans l’Hôtel-Dieu, le kiosque à musique, la centrale des alarmes du Service des incendies, le monument en hommage à Georges-Étienne Cartier, le magasin de tapis H. Lalonde & frère, la librairie Renaud-Bray (l’ancien théâtre Regent), le théâtre Rialto, l’édifice Bovril (angle Van Horne).
Les dessins, remplis de détails, sont beaux à regarder, et les textes qui les accompagnent, intéressants à lire. L’auteur nous apprend plein de choses sur les lieux qu’il dessine. Saviez-vous, par exemple, que l’architecte du Rialto, Raoul Gariépy, s’est inspiré du Palais Garnier de Paris? Que les tableaux ornant les murs du grand chalet du Mont-Royal ont été réalisés par Paul-Émile Borduas, Marc-Aurèle Fortin, Adrien Hébert alors qu’ils n’étaient pas connus?
Dinu Bumbaru ne se prive pas non plus d’y aller de commentaires acerbes sur des décisions d’urbanisme qu’il juge mauvaises, comme la construction du CHUM à l’angle de Saint-Denis et de René-Lévesque ou l’abandon de joyaux comme l’ancienne station de pompage Craig située entre la Maison Radio-Canada et l’usine Molson. On reconnaît là l’homme engagé d’Héritage Montréal.
Carnet d'un promeneur dans Montréal, Dinu Bumbaru. Éditions La Presse, 2020. 200 pages.