Présentation de la série Rencontres du premier type
Faire un portrait, c’est se laisser captiver par la personne devant soi. Le portrait exige une ouverture à se laisser pénétrer par le regard des autres, qu’il soit intense, serein, froid, défensif ou chaleureux.
Ces photographies ont été prises à la lumière naturelle et captées dans l’environnement immédiat des gens (rues, parcs, festivités ou autres). Dans cette série intitulée Rencontres du premier type, j’ai opté pour des cadrages serrés sur les visages afin d’accentuer la sensation que c’est la personne photographiée qui nous regarde plutôt que l’inverse.
J’ai choisi le noir et blanc pour diriger l’attention vers l’essentiel: l’émotion du visage et du regard de la personne photographiée. Le lieu, le contexte et la couleur sont ainsi relégués au second plan au profit de la relation entre le sujet et le photographe, et celle qui se crée entre la personne photographiée et celle qui regarde le portrait.
Le sujet principal d’une photo ou l’histoire que l’on veut raconter sont souvent détournés au profit d’une couleur en arrière-plan. Notre monde étant celui de la couleur, le monochrome produit un contraste qui rend les images plus intemporelles et donne un caractère plus universel aux personnages. Le choix du noir et blanc permet d’éliminer la distraction dominante de la couleur.
Pour le photographe, le noir et blanc est un choix exigeant, car il doit se servir des nuances et des tonalités de gris pour faire ressortir du sens qui se trouverait autrement dissimulé par la couleur. La lumière doit être traitée plus minutieusement, ainsi que la composition de l’image, ses formes, ses contrastes et ses textures. Pour la personne qui regarde un portrait en monochrome, l’absence du référent réaliste de la couleur lui donne l’occasion d’être plus attentive à l’émotion ou aux sensations qu’elle ressent face au sujet qui se trouve devant elle.
Jeune garçon
Dans une lumière de fin du jour de novembre 2012, je marchais vers mon petit hôtel sur le sentier poussiéreux du village de Tabiting, au Bhoutan. Ce jeune garçon au visage brûlé à cause de l’intensité du soleil en altitude était assis devant la maison familiale. Quand je me suis approchée, il est resté immobile tout en dirigeant son regard vers la lentille de mon appareil photo. J’ai pris plusieurs clichés et me suis arrêtée au moment où il a esquissé un léger sourire.
Dame âgée
Parmi des milliers de portraits, je suis particulièrement fière de la photo de cette dame âgée. Étonnée par ma demande de la photographier, elle a dit: «Pourquoi me prendre en photo alors qu’il y a tant de belles jeunes filles ici?» Photo captée dans un couloir du Tashi Chho dzong de Thimphu, l’une des nombreuses forteresses du Bhoutan. Je m’y trouvais en septembre 2013 en même temps que des milliers de personnes pour le «tsechu», un festival annuel de danses sacrées exécutées par les moines.
Regard déterminé
Au printemps 2015, je suis allée en mission bénévole en Ouganda et au Kenya pour documenter les projets soutenus par la fondation 60 millions de filles. Cette photo a été prise durant la visite d’une école du Nyaka AIDS Orphans Project située à la frontière de la République démocratique du Congo. Dans cette région rurale, le VIH-SIDA a laissé des milliers d’enfants orphelins qui, grâce au projet, sont pris en charge par une organisation de grands-mères. J’ai remarqué cette adolescente au regard déterminé. Sans un sourire, elle a fixé la lentille de mon appareil photo sans bouger pendant que je faisais quelques réglages et, dès que la photo a été prise, elle a éclaté de rire.
Sourire énigmatique
Cette dame était assise sur un banc extérieur près de la ville d’Ubud, à Bali, en 2012. Attirée par son sourire énigmatique, je me suis assise près d’elle. J’ai été saisie par la force qui se dégageait de son visage et par son regard à la fois tendre, complice et intense. Ne parlant pas la même langue qu’elle, j’ai pu toutefois comprendre qu’elle acceptait de poser pour moi.
L’Homme au chapeau
L’Homme au chapeau, spectateur des danses rituelles et masquées exécutées par ceux que l’on surnomme les «moines volants». C’était en novembre 2012, durant l’un des nombreux festivals traditionnels du Bhoutan. Hauts en couleur, ces festivals ont lieu dans toutes les régions du pays, en automne et au printemps. Particulièrement amusé de jouer ici le rôle de modèle, il s’est volontiers déplacé à ma demande devant un mur de pierre qui sert ici de toile de fond.
Réceptionniste aux yeux tristes
Malaga, la ville des musées. J’y ai séjourné pendant une semaine en octobre 2018 dans le cadre d’un projet de photos de femmes andalouses. Le petit musée Ifergan offre une collection unique de cent votives authentiques récupérées d’un naufrage phénicien et qui racontent l’exode des habitants de la ville de Tyr assiégés par Alexandre le Grand en l’an 332. J’ai été impressionnée par les grands yeux tristes de la réceptionniste. Elle a accepté de quitter brièvement son poste pour poser à l’extérieur, devant l’entrée du musée.
Touchante
Elle terminait son sandwich au comptoir d’un café de Séville, en Espagne, en octobre 2018. J’ai entamé la conversation avec elle, intriguée par son énergie fragile et son visage au teint extrêmement pâle et terne. Elle a accepté que je fasse son portrait. Comme sa casquette faisait de l’ombre sur ses yeux, je lui ai demandé de la retirer. Elle a refusé, visiblement incommodée par ma demande. Malgré mes connaissances limitées en espagnol, j’ai compris qu’elle ne voulait pas montrer son crâne sans cheveux, car elle avait eu le cancer du sein. Surprise et bouleversée par la situation, j’ai dû essuyer mes larmes avant de pouvoir continuer à regarder par le viseur de mon appareil photo.
Gaucho, Argentine
Le festival gaucho d’Argentine a lieu en novembre de chaque année. C’est une tradition annuelle qui remonte à près d’un siècle. Les gauchos de plusieurs régions du pays se rassemblent dans la petite ville de San Antonio de Areco, située près de Buenos Aires. Chevaux, cavalières et cavaliers sont décorés de toutes leurs plus belles parures afin de parader et célébrer la Fiesta de la Tradición. Le festival prend la forme d’une foire champêtre à grande échelle, notamment à cause du nombre impressionnant de gauchos de tous âges qui s’y rassemblent. Photo de 2011.
Barcelone, octobre 2018
Barcelone, octobre 2018. J’avais marché toute la matinée en quête d’images pour mon projet Myopies urbaines. Je me suis arrêtée sur l’une des nombreuses places du quartier Raval. Cet homme était assis sur un banc à l’ombre. Il parlait un peu d’anglais. J’ai pu comprendre qu’il était un migrant de fraîche date, et sans travail. J’aurais bien aimé pouvoir discuter plus facilement avec lui pour connaître son histoire.
Nonne bouddhiste
Nonne bouddhiste, Pema Wagmo est l’aînée d’une famille de sept enfants. Elle a choisi la vie monastique à l’âge de 24 ans. Pema est chaleureuse et attachante. Elle ne semble pas consciente de son charisme. Son rêve? «Je veux faire des études avancées en philosophie bouddhiste.»
Photo prise à la nonnerie où j’ai eu le privilège de vivre pendant trois semaines en octobre 2013 dans le but de produire le récit photographique Héritières de Bouddha, à la rencontre des nonnes Shéchèn du Bhoutan, qui a été publié en 2017. J’ai pris cette photo durant une séance de méditation de type «puja» (récitations sur un ton monocorde). Au temple, les nonnes étaient toujours concentrées sur leur méditation, mais j’arrivais parfois à capter leur attention.
Durant mes deux séjours au Bhoutan, j’ai demandé à plusieurs personnes, nonnes ou moines, de m’expliquer quel est l’effet de la méditation sur leur vie. J’aime particulièrement l’une de ces réponses: «Nos émotions et nos idées montent et descendent comme les vagues d’une rivière turbulente. Elles font partie de nous. Nous ne pouvons les empêcher de s’entrechoquer, mais la méditation permet de calmer leur gonflement plutôt que de subir les effets toxiques de leur agitation, ou encore, de les projeter sur ceux qui nous entourent.»
À propos de Martine Michaud
Née au Nouveau-Brunswick, Martine Michaud vit et travaille à Montréal. Artiste multidisciplinaire, elle se consacre depuis 2007 exclusivement à la photographie et aux arts visuels. Ses œuvres, signées Mishô, comprennent des reportages, des portraits ainsi que des photos-compositions. Son travail plus récent a été présenté au public montréalais dans des expositions solos, notamment: Sous la surface, une installation-photo (Galerie Luz, 2019), Sésame (Centre culturel du Maroc, 2017), Bhoutan bonheur (Espace Desrosiers-Lozeau, 2015), Le Bhoutan, sur la route du bonheur national brut (Maison du développement durable, 2014).
Sélectionnée par les jurys des compétitions internationales Margaret Julia Cameron Award et Pollux Award, elle a été invitée à exposer ses portraits et séries photographiques à Barcelone en 2018, 2019 et 2020. Elle a été sélectionnée pour présenter sa série Myopies urbaines aux Trieste Photo Days (Italie) en octobre 2019 et des photos de cette même série ont été publiées dans le prestigieux magazine américain Black & White du mois d’août 2019. Elle a fait partie des photographes québécois choisis pour une exposition à la Connections Gallery de Toronto en 2017. Elle est l’auteure de deux livres de photo publiés en 2014 et 2017, intitulés Bhoutan, lotus et dragon (2014) et Héritières de Bouddha, à la rencontre des nonnes Shéchèn du Bhoutan (2017). Elle est membre de la SOCAN et de l’UDA.