Louise Portal: Vieillir, c’est…
Vieillir… ne plus reconnaître le paysage de sa vie. La maison de notre enfance a disparu. Le boisé où on allait jouer est devenu un centre d’achat! Les bonbons n’ont plus la même saveur.
Vieillir… c’est perdre beaucoup. Renoncer à garder le passé dans le creux de ses mains.
Y a des jours où l’on se sent abandonné, même par soi-même. Une sourde envie de démissionner. On éprouve de la fatigue, on se sent las de tout.
Le corps grince et la jeunesse pâlit, puis s’enfuit.
Et y a des jours prometteurs où tous les possibles surgissent encore dans nos cœurs. On continue de rêver et d’espérer.
Vieillir, certes, et continuer d’aller de l’avant, disposé à accueillir, cueillir et recueillir ce qui se présente dans nos vies.
Accueillir les changements. Ceux du corps et de notre environnement.
Cueillir les leçons de l’expérience et les cadeaux porteurs de sens. Pour nous.
Recueillir la manne des instants de joie. Un jour à la fois. Demain? On ne le connaît pas. On n’en sait rien… alors, vivons maintenant!
Vieillir… c’est adapter son pas, son rythme à ce monde en constante mutation. Cultiver le mieux possible le savoir-vivre avec l’autre, nourrir l’écoute, la bienveillance, la communication.
Laisser en héritage le meilleur de soi, dépouillé enfin de l’avoir. Offrir son être dans des parcelles de bonté, d’empathie.
Vieillir, évoluer et s’élever. Partager avec ceux qui nous suivent, un peu de la force et de la vaillance de ceux qui nous ont précédés.
Vieillir et apprivoiser le monde en moi et autour de moi. Le regarder avec compassion, même si tant de choses insensées me font hurler.
Vieillir et tout réapprendre encore une fois.
Aimer sans attente.
Avancer sans peur.
Écouter en silence.
Taire les rumeurs insolites qui voyagent autour et peuvent me faire trébucher, alors que je marche dans la paix du cœur.
Vieillir… accepter mon corps qui souffre, prier pour un ami qui se meurt, laisser mes mains ouvertes sur l’espérance, pour créer la beauté et l’harmonie dans le monde.
Vieillir et honorer celle que je suis. Poursuivre ma mission de vie dans une présence rayonnante ou discrète.
Vieillir tout en assumant nos imperfections et soigner encore et encore certaines traces des blessures héritées de l’enfance ou de l’amour. De nos parcours professionnels souvent pavés de difficultés.
S’il est difficile de VIVRE, il n’est pas si aisé de VIEILLIR.
Apprivoiser la maladie, la mort.
Vieillir… c’est aussi se coucher un soir en remerciant la vie de tout ce que l’on a vécu jusqu’ici et offrir sa nuit pour le repos de son âme.
Vieillir… c’est faire de son paysage intérieur d’aujourd’hui, l’horizon de cet avenir qui nous fait toujours signe.
Finalement, n’est-ce pas un privilège de vieillir? Puisque nous sommes vivants.
Le printemps vient. Mon amie de 95 ans sort dans les jardins pour parler aux fleurs et chanter le vent. Son sourire alors s’éclaire ainsi que son regard sur le monde.
Elle choisit d’aimer. Au lieu de se plaindre.
Elle choisit d’avancer. Au lieu de démissionner.
Elle vieillit seule, sans enfants ni petits-enfants. Tout comme moi.
Elle me précède. Je suis sa trace… sur ce chemin d’amour. Inspirant.
À propos de Louise Portal
Comédienne, chanteuse, auteure, femme engagée... Louise Portal fait partie du paysage médiatique québécois depuis plus de 45 ans.
Elle brille sur scène et à l'écran depuis 1971. Elle a tourné dans plusieurs films cultes du cinéma québécois, dont Taureau de Clément Perron et Le déclin de l'empire américain de Denys Arcand.
Elle a été récompensée à de nombreuses reprises au fil de sa carrière, remportant notamment le prix Génie de la meilleure actrice de soutien pour Le déclin de l'empire américain en 1987.
Sa carrière d'écrivaine reste méconnue pour certains. Pourtant, depuis la parution de Jeanne Janvier en 1980, huit ouvrages ont vu le jour, dont cinq romans, une pièce de théâtre, un recueil de chansons et un livre de Correspondances avec son père, Les mots de mon père (2005).