La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le consentement: consentir au grand malaise

J’ai vu le cœur au bord des lèvres Le consentement, ce film très attendu de Vanessa Filho qui prendra l’affiche chez nous à compter du 23 février, d’après le grand récit de l’écrivaine et éditrice française Vanessa Springora, paru, lui, il y a quatre ans déjà.



Je ne m’en suis pas remise, du livre comme du long-métrage qui racontent les sévices subis par l’auteure (impressionnante Kim Higelin) dans sa prime jeunesse, prise dès 1985 sous le joug vicieux de l’écrivain Gabriel Matzneff (Jean-Paul Rouve), un abuseur ratoureux de 37 ans son aîné, adulé par l’intelligentsia d’alors. Une certaine élite qui ne montre d’ailleurs toujours pas patte blanche à travers les remous d’autres dénonciations que nous renvoient l’actualité française post #metoo des dernières semaines.

Je ne m’en suis pas remise, du livre comme du long-métrage qui racontent les sévices subis par l’auteure, prise sous le joug vicieux de l’écrivain Gabriel Matzneff, un abuseur ratoureux de 37 ans son aîné. @Julie Trannoy

J’ai la couenne solide. J’aime lire et voir ce qui dérange et perturbe, surtout quand c’est bien ficelé, avec intelligence et lucidité. Pas par voyeurisme, enfin, je ne pense pas que ce soit ce qui m’attire au premier chef. Je crois sincèrement que j’ai envie de comprendre les mécanismes de la monstruosité, pour prendre le pouls de ce qui se terre dans l’ombre de la société et qu’on choisit souvent de ne pas regarder de manière frontale, par honte, tabou ou facilité. Je ne jugerai jamais celles et ceux qui refusent d’en être témoins par le biais de l’art parce que je comprends ce que ça peut éveiller comme maux ou traumas chez des victimes directes ou collatérales de sévices tels que ceux présentés sans ambages dans Le consentement.

L'impressionnante Kim Higelin dans le rôle de Vanessa Springora. @Julie Trannoy

J’ai néanmoins envie que des jeunes – et moins jeunes – qui seraient plus attirés de nature par le cinéma que par la littérature et qui n’ont jamais lu le livre primé de Springora soient conscients par le biais d’un tel cinéma-vérité du pouvoir que peuvent exercer certains adultes soi-disant intelligents et en posture d’autorité. Ceux-là, les mal intentionnés, ne sauront jamais être remués par une telle œuvre, pire, j’ose même craindre l’exacerbation de leurs vices, l’excitation qu’eux seuls pourraient y trouver. Car c’est ce qu’ils y puiseront, sans jamais ressentir de remords. Je ne crois pas que ces âmes perdues puissent enfin tendre vers la lumière ou la recherche d’une quelconque forme de pardon. Pas à ce niveau de médiocrité comme celle de Matzneff, dont l’écriture du nom me rend nauséeuse, dont j’espère les écrits pédophiles censurés pour la nuit des temps.

Jean-Paul Rouve dans la peau de l’écrivain Gabriel Matzneff. @Julie Trannoy

L’homme ne s’en est d’ailleurs jamais caché, allant jusqu’à en faire l’apologie dans ses écrits dénoncés jadis avec une force de caractère inouïe par Denise Bombardier sur le plateau d’Apostrophe animé par un Bernard Pivot bien mou, comme tous les autres invités, médusés, incapables d’ajouter de l’eau au moulin salvateur et raisonné de la Québécoise qui nous a quittés le 4 juillet 2023. On peut être fiers que ce soit une femme de chez nous qui ait eu le cran d’ébranler le «grand temple précieux» du savoir français et, du même coup, la complicité des bien-pensants drapés dans leur snobisme d’apparat.

Dénuder les complices

Savamment, Filho met l’emphase sur les tactiques et stratégies de cet infâme personnage qui a tout tenté pour publier de nouveau après la sortie du Consentement, pour se défendre à sa manière, retrouver ses «alliés», bien présentés dans le film: d’autres auteurs, des critiques, la «brigade des mœurs» qui se laisse entourlouper, un médecin sans envergure qui encourage la perpétuation de la terreur, la mère (Laeticia Casta) qui tergiverse puis succombe, désarmée, sans armure au fond. Je ne lui jetterai pas de pierres, le film la montre prisonnière elle aussi, à sa manière. C’est l’infamie d’adultes aveuglés par un système clinquant érigé en gloire qui est souligné à gros trait, leur manière de consentir en ne se posant pas comme protecteurs; le devoir de tout être humain mature à l’endroit des plus jeunes, des plus faibles, inexpérimentés et naïfs comme on l’est tous dans l’enfance. Même les plus allumés comme Vanessa, déjà versée en littérature à l’adolescence, déjà fascinée par le monde des adultes, désireuse d’y être enfin. Avait-elle d’autres choix, alors que tout lui interdisait le confort de l’enfance?

C’est l’infamie d’adultes aveuglés par un système clinquant érigé en gloire qui est souligné à gros trait, leur manière de consentir en ne se posant pas comme protecteurs. @Julie Trannoy

Si le récit de Springora est fort, montrant le piège qui se referme autour de la jeune fille qui a treize ans la première fois qu’elle rencontre son prédateur, la grande réussite du Consentement se situe dans la réplique ultime de l’écrivaine qui choisit au bord du gouffre (ce n’est pas qu’une métaphore) de prendre la plume pour emprisonner à son tour l’homme en l’entortillant dans la sincérité de ses mots. Aucune réplique n’arrivera jamais à la cheville du courage puissant de celles qui créent à l’encre de leurs traumas. La forme du livre a donc été respectée à l’écran, ce qui n’est pas toujours le cas dans les adaptations.

La forme du livre a été respectée à l’écran, ce qui n’est pas toujours le cas dans les adaptations. @Julie Trannoy

Ces mots, puis ces images du Consentement, je les porte encore sous ma chair. Il le faut. Pour ne jamais oublier et, aussi, pour garder ces diableries dans le rétroviseur. Prévenir désormais, plutôt que guérir. Car pour Springora, inévitablement, la guérison risque d’être longue, voire impossible. Il reste au moins la force des mots et des images que seuls les complices de pareilles barbaries de l’âme refuseront d’admettre. Le film les dévoile enfin. Les secousses de ces témoignages, à commencer par celui de Springora qui a ouvert le bal libérateur en France, ne sont hélas que la pointe de l’iceberg.