Michelle Rossignol. Soleil obligatoire, sous la direction de Stéphane Lépine
En mai prochain, cela fera trois ans que Michelle Rossignol nous a quittés. Le souvenir le plus prégnant que le public garde d’elle est certainement son rôle dans le populaire téléroman de Lise Payette Des dames de cœur. Elle y incarne Véronique O’Neil, une femme forte et indépendante, qui réussit. Dans sa vie publique, Michelle Rossignol a été comme ça, si on se fie au portrait que Stéphane Lépine nous fait dans le livre Michelle Rossignol. Soleil obligatoire, qui tient davantage de l’exercice de mémoire que de la biographie.
L’ouvrage, qui nous raconte le parcours héroïque et sans temps mort de Michelle Rossignol, est constitué d’une partie documentaire (richement alimentée par Stéphane Lépine), de plusieurs extraits d’entrevues accordées par Michelle Rossignol au fil des années et de 41 témoignages de personnes qui l’ont côtoyée, cela va des collègues des premières années aux auteurs qui ont profité de ses lumières, en passant par les acteurs qu’elle a formés (Marcel Sabourin, Michel Garneau, Michel Marc Bouchard, Évelyne de la Chenelière, Julie Vincent, Patrick Drolet, pour n’en nommer que quelques-uns).
Vous avez compris que ce n’est pas le genre de livre qui vous dira qui a fait battre son cœur, quel est le secret de sa chevelure de tigresse ou le nombre de cigarettes que cette fumeuse notoire grille chaque jour. Cette artiste a toujours gardé sa vie secrète, ç’aurait été indélicat de rompre avec ce souci de discrétion.
Tout au plus, apprend-on d’entrée de jeu qu’elle est née en pleine guerre (1941) dans un quartier ouvrier de Montréal, rue Marquette. Élevée par une mère qui malgré des origines extrêmement modestes s’est forgé une carrière dans les médias, et un père gérant d’une buanderie, mort alors qu’elle a à peine 15 ans, l’âge qui la propulse.
En effet, à 16 ans, celle qui ne s’est jamais vue faire autre chose que jouer fait ses débuts à la télévision dans Le Survenant. L’auteure Germaine Guèvremont crée pour elle le personnage de Manouche, sa version féminine du Survenant. C’est ce qui s’appelle commencer une carrière en lion.
De fait, elle sera rapidement très demandée sur les scènes de théâtre montréalaises et pour les nombreux téléthéâtres que Radio-Canada produit, notamment la création d’Un simple soldat de Marcel Dubé.
Parmi les gens du métier que la jeune fille mineure côtoie, une comédienne riche d’une culture européenne, Kim Yaroshevskaya, pour la nommer, la convainc d’aller parfaire sa formation à Paris. Ce que la jeune Michelle fait. Elle ne choisit pas la facilité. Elle s’inscrit au cours de la redoutable Tania Balachova, amie de Sartre, Camus, Artaud. Convaincue du talent de sa nouvelle protégée québécoise, cette pédagogue, précurseure de l’Actor’s Studio américain, la présente à ses contacts parisiens. Et la jeune comédienne québécoise de se trouver des rôles au théâtre, à la télévision et au cinéma français.
Michelle Rossignol aurait pu avoir une carrière hexagonale, mais elle en décide autrement. Elle revient au Québec avec l’ambition de défendre un théâtre plus proche de ses racines, un théâtre écrit et fait par des Québécois.
C’est de notoriété publique, elle est de la création de plusieurs œuvres marquantes: Les beaux dimanches de Marcel Dubé, Les belles-sœurs de Michel Tremblay, Les oranges sont vertes de Claude Gauvreau, Dédé Mesure de Jean-Claude Germain, Mariaagélas d’Antonine Maillet. Et que dire de sa Pierrette dans les films Françoise Durocher, waitress et Il était une fois dans l’Est d’André Brassard!
À propos des Oranges sont vertes, Michelle Rossignol crée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) le personnage de Cégestelle dans un contexte très dramatique. L’auteur, Claude Gauvreau, «qu’elle voit comme un frère de combat», se suicide quelques jours avant la première. Elle confie avoir vécu la naissance de ce texte comme une mystique.
Mais ce qu’on connaît moins de Michelle Rossignol, et que le livre ramène à la surface, c’est tout le travail qu’elle fait pour faire émerger la dramaturgie québécoise alors qu’elle occupe des fonctions d’enseignement et de direction à l’École nationale de théâtre du Canada. Elle profite de son poste pour commander des œuvres originales qui permettront à ses étudiants de se mettre en bouche la langue et les idées du Québec.
On la retrouve aussi très active comme metteuse en scène, et là encore au service d’auteurs vivants québécois comme Roland Lepage (La complainte des hivers rouges) ou Jovette Marchessault (La saga des poules mouillées).
Cette conviction profonde pour le théâtre de création québécois la conduit naturellement à la direction du Théâtre d’Aujourd’hui, dont c’est la mission.
Michelle Rossignol n’a pas eu d’enfant, mais durant son règne, elle a mis au monde nombre de textes souvent joués par de jeunes comédiens qui font leurs premiers pas. Elle s’emploie, avec fougue, à faire découvrir de nouvelles plumes, à donner une voix aux femmes dramaturges ainsi qu’aux auteurs provenant des communautés culturelles. Cela nous vaudra des pièces comme Joie de Pol Pelletier, Le cerf-volant de Pan Bouyoucas, Journée de noce chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad, Les reines de Normand Chaurette, Le voyage magnifique d’Emily Carr de Jovette Marchessault, Bob de René-Daniel Dubois. La liste est longue, car Michelle Rossignol a été aux commandes du Théâtre d’Aujourd’hui de 1989 à 1998, une période foisonnante en matière de création théâtrale au Québec. C’est elle, d’ailleurs, qui porte l’immense projet de déménagement du Théâtre d’Aujourd’hui, de son sous-sol crade rue Papineau à sa nouvelle maison flambant neuve au 3900, rue Saint-Denis.
La preuve que son engagement ne s’est jamais démenti, en 2021, l’année suivant sa mort, sa succession annonce que les avoirs de la défunte, une somme de 1,4 million de dollars, constitueront un fonds servant à soutenir des résidences d’artistes, à offrir des bourses d’écriture et à favoriser des relectures de pièces du répertoire québécois. Le fonds porte son nom et on lui a fait l’honneur, tellement mérité, de nommer aussi la salle principale du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTDA) en son honneur.
Le livre de Stéphane Lépine vient couronner cette commémoration de belle façon.