La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Une vraie histoire de cœur

Elle s’appelle Emmanuelle de Boysson, et il y a de cela deux ans, quelques jours avant la Saint-Valentin, son cœur s’est arrêté de battre pendant trente minutes. Si elle est là pour témoigner, c’est bien sûr parce qu’elle a survécu à cette mort. Elle revient de loin. 



«Il était 17h20 lorsque mon cœur s’est arrêté. Je ne me suis aperçue de rien. Ça s’est passé comme si je m’endormais. C’était doux, presque un soulagement», écrit dans Un coup au cœur (éd. Calmann-Lévy) la journaliste et romancière française de 79 ans. Je précise l’âge pour les plus hypocondriaques qui, comme moi, quand il est question de soucis de santé, de malaises, d’arrêts cardiaques ou de toutes autres histoires médicales, ont tendance à se comparer, à faire des études de risques à deux cennes, à faire des rapprochements avec leur propre existence… Le but de cette chronique n’est pas d’apeurer ou de rassurer qui que ce soit. Le but du livre d’Emmanuelle de Boysson non plus. J’y ai lu quelque chose comme un plaidoyer pour l’amour et la vie à travers cette seconde chance qui lui a été accordée par on ne sait quelle instance céleste. Je pense qu’on serait fous de s’en passer, que le monde ne tourne pas assez rond pour ça.

D’abord, rien ne laissait présager son infarctus. Pas d’essoufflement, de douleur thoracique, de sueur, aucun signe annonciateur. Il lui était tout de même arrivé de ressentir des douleurs diffuses au creux des reins, des sortes de pincements qui duraient jusqu’à ce qu’elle avale un Doliprane. Sinon, elle allait très bien. Elle travaillait beaucoup à son nouveau roman, y avait même passé quelques nuits blanches. Vu des antécédents familiaux troubles côté cœur, Emmanuelle de Boysson admet qu’elle aurait dû consulter un cardiologue. Elle fumait aussi… Un paquet de Vogue pastel par jour. Toujours est-il que sans son amoureux pour lui faire un massage cardiaque en attendant les ambulanciers, elle ne serait jamais revenue d’outre-tombe, c’est certain.

À l’hôpital, ses capacités de survie ont été réduites comme peau de chagrin; elle demeurait encore entre la vie et la mort. Puisant dans les souvenirs de cet entre-deux, elle revient sur l’attrait, voire l’appel de l’au-delà qu’elle a ressenti: «Je ne saurais dire exactement dans quel pays je me trouvais, mais je sais que j’avais attendu toute ma vie ce moment-là, que mon être aspirait depuis le premier jour à cette illumination, cet embrasement des sens.» Sans pencher du côté de l’ésotérisme ou des bondieuseries – j’aurais hurlé –, avec sincérité, intelligence et intuition, elle revisite cette expérience de mort imminente comme on tenterait de rassurer ou de consoler ceux qui redoutent le trépas, se questionnent de manière obsessive. C’est une ode à la vie donc, à ceux qu’on aime de «l’autre côté» et qui – j’espère sans savoir trop – nous attendent. C’est aussi une réflexion sur nos vies de fou, sur le personnel soignant dans les hôpitaux. Je n’avais jamais lu pareille histoire. Un coup au cœur est incontestablement une manière de savourer le sel de la vie avant que tout finisse. C’est un beau coup qu’elle nous donne.

Les cœurs de Rogé et Clara

Parlant de coup au cœur, j’en ai eu tout un à la Saint-Valentin à l’endroit du peintre et illustrateur québécois Rogé dont j’aime suivre les réseaux sociaux; toujours charmée par ses tableaux colorés qui respirent la joie, le tumulte, l’intensité, bref, tout ce que j’aime

Il y a quelques années, sa fille Clara assistait aux ateliers que donnait son papa en compagnie de l’écrivain Simon Boulerice dans une résidence pour personnes âgées. C’était en marge de la création du livre Mémoire, ma maison (éd. La Bagnole). Pour passer le temps en attendant Rogé, la petite avait fait une tonne de dessins à offrir aux résidents. Émue devant leurs réactions, étonnée peut-être de faire une quelconque différence dans la vie d’inconnus, elle a voulu refaire l’expérience pendant la pandémie en donnant à des aînés des cartes faites main à la Saint-Valentin. Son artiste de père l’accompagne dans ce beau projet qui dure. Hier, c’était leur troisième année de partage. Le monde est beau aussi parfois.

Photo: Facebook Rogé Girard