La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Un appel (grandiose) à la poésie

«Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois.» C’est ce qu’a écrit Kafka dans une lettre destinée à son ami Oskar Pollak en 1904. Si un livre peut le faire, il en est de même pour n’importe quelle forme d’art, bien sûr.



Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand cela survient, que la mer brise grâce à une œuvre, les vannes émotives sont chez moi grandes ouvertes. Merci, bonsoir, elle est partie! C’est le festival du frisson dans l’échine, le festival des larmes qui font couler le mascara à en effrayer les flos, le festival des grands cris de ralliement: «Que tout le monde arrête de vivre un instant, j’ai découvert un truc...» Puis, j’espère que mon intensité soit partagée, que d’autres aussi, comme moi, ne s’en remettront jamais de ce flot de génie, tel un tremblement de terre de magnitude 10 sur l’échelle de Richter. Dieu que ça fait du bien en ce moment quand ça se produit.

Photo: ©Yves Harnois

J’ai eu une sensation de cet acabit lorsque le dernier dimanche de novembre, fidèle à mon habitude, j’avais syntonisé Dessine-moi un dimanche sur ICI Première. C’est alors que j’ai entendu pour la première fois J’en appelle à la poésie, douzième et dernière pièce musicale de Nouveau matériel, nouvel album du romancier, poète et travailleur social David Goudreault, en vente à compter du 4 décembre.

Ô le grand chef d’œuvre.

Sur une musique des pas moins géniaux Alex McMahon et Antoine Gratton (accompagnés du quatuor Esca), les mots de Goudreault traversent le corps avec cette ode essentielle à notre poésie de langue française, à nos poètes qui voient le monde comme rarement le font les autres vivants.

J’ose espérer que cette œuvre qui a la consistance d’un hymne national – et pourquoi pas le nôtre ? – sera lue et écoutée dans toutes les écoles du Québec. Dans toutes les chaumières aussi. Et, pour faire du millage dans le style du créateur, dans tous les gymnases, dans toutes les tavernes, à l’Assemblée nationale comme au Parlement. Tout y est: l’amour, les hommages, la mémoire, le devoir, le respect, la dignité, l’honneur, le rêve, la force, le courage, l’espoir. L’espoir que cet appel soit entendu par les bonnes, et les moins bonnes personnes aussi.

Faut en remplir les écoles, dès le primaire

Du Jean Narrache en dictées

Marie Uguay imposée aux joueurs de football

Et Vanier aux premiers de classe.

[…]

Que l’on ait des versificatrices en résidence dans chaque résidence pour personnes âgées.

Que l’on jumelle chaque analphabète à une poète

Et qu’on les paye pour réinvestir les maux.

Qu’ils peignent de grandes pancartes devant les hôpitaux psychiatriques «Entrez voir nos spéciaux!»

[…]

Que chaque soirée du hockey s’ouvre sur un poème de Pozier.

Qu’Anonymous traficote pour qu’on ne puisse plus acheter que du Josée Yvon sur Amazon.

Que l’on canonise Yves Boisvert

Que l’on nobélise Hélène Dorion

Que l’on imprime du Francoeur sur les papiers à rouler

Du Beausoleil sur les billets d’avion

Du Desbiens sur les tickets de bus transcanadiens

Du Daoust sur les foulards de soie

Les autres pièces de cet opus que Goudreault a réalisé avec Manu Militari sont géniales aussi, mais ce J’en appelle à la poésie, je ne m’en suis pas remise, je vous dis. Le jour où je m’en remettrai, de grâce, faites-moi voir le docteur. 

JE CRAQUE POUR…

Le Renaudot (catégorie essai) à Dominique Fortier

Elle l’a eu, ce beau grand prix littéraire qu’on était plusieurs à lui espérer. Dominique Fortier a de quoi être fière d’être la cinquième femme à l’obtenir, première Québécoise. Il faut remonter à l’attribution du prix Médicis à Dany Laferrière en 2009 pour voir un auteur d’ici récompensé par l’un des grands prix littéraires français.

C’est pour Les villes de papier (Éd. Alto en 2018, puis chez Grasset en France) qu’elle le remporte enfin. Consacré en partie à la poète américaine du 19e siècle Emily Dickinson, ce livre est incontestablement en accord avec l’époque actuelle, tout comme Dickinson, qui a passé la majeure partie de sa vie dans sa chambre, seule et recluse. Vendu à près de 10 000 exemplaires au Québec, le roman a déjà été traduit en anglais et en italien. Des traductions en espagnol et en suédois paraîtront en 2021.

Au lendemain de cette victoire, pas encore tout à fait remise de ses émotions, l’écrivaine a mis en ligne une photo des pieds de sa fille Zoé, prise par son enseignante dans sa classe. La petite s’y est pointée avec deux souliers différents! Ça va bien aller.