La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Les trolls: amis de la poésie, bonsoir!

Avez-vous déjà reçu un pénis sur Facebook? Pas celui de votre amoureux, celui d’un inconnu qui vous déclare dans un français approximatif qu’il aimerait bien vous «fourrer» parce qu’il vous juge «fourrable comme une sale pute déchue». Amis de la poésie, bonsoir! Violent hein?



Ça a été violent aussi quand mon amie Caro a reçu ça la semaine dernière via ses messages Facebook par un dénommé lunesoleil. La photo d’identification du «sympathique» destinateur: une lune et un soleil. Comme quoi l’individu mystérieux a de la suite dans les idées… Pas besoin de s’appeler Sigmund Freud pour comprendre qu’il a surtout un besoin criant de s’exprimer et d’extérioriser un trop-plein de violence – à l’endroit des femmes – et de le faire de manière anonyme. Caro n’est pas une personnalité publique, elle ne chronique jamais nulle part. Caro, une fille en finance qui préfère les chiffres aux lettres, déteste écrire. Alors, non, elle ne tient pas l’ombre d’un blogue dans sa cuisine et n’écrit sur sa page Facebook que pour remercier ses 362 amis de lui avoir transmis leurs vœux le jour de son anniversaire.

Si cette illustre inconnue – sauf chez elle à l’heure des repas – a reçu ce type de contenu, imaginez ce qu’à pu recevoir une Pénélope McQuade, qui est aussi active sur ses réseaux sociaux qu’en ondes, où elle fait partie des figures médiatiques les plus présentes au sein de notre grand village québécois. En plus, la talentueuse réfléchit, questionne et s’exprime sur sa société. Fine communicatrice, qu’on soit d’accord ou non avec ses idées – elles se tiennent –, sa rhétorique est forte et son sens de la répartie, aiguisé. Tout pour déplaire aux misogynes, aux gens frufrus, aigris, amers qui l’ont invectivée ces dernières années via Internet. Et des frufrus, aigris, amers de cet acabit, parmi les cinq millions de Québécois qui ont un compte Facebook, il y en a pas mal.

À travers le documentaire-choc Troller les trolls, réalisé par Hugo Latulippe et diffusé à Télé-Québec le 3 octobre dernier, McQuade, qui est journaliste de profession (vivement de la voir dans ce rôle), s’est demandé jusqu’où la liberté d’expression allait. À la lumière de sa propre expérience de femme «trollée» et de celles de personnalités controversées, comme Gabriel Nadeau-Dubois, Patrick Lagacé, Richard Martineau, Sophie Durocher, Judith Lussier et bien d’autres qui polarisent plus souvent qu’autrement, elle témoigne du phénomène préoccupant.

Spécialistes dans leur domaine respectif, Me Julius Gray, la féministe et essayiste Aurélie Lanctôt, et la gestionnaire de médias sociaux Nellie Brière, entre autres, ajoutent leurs commentaires aux autres, tout comme ceux de quelques trolls retrouvés par Geneviève Lajeunesse, une formidable «crack» d’informatique qu’on souhaiterait avoir comme amie.

Excellente initiative d’avoir mis de vrais trolls devant les caméras et grand défi de recherchiste, s’il en est un! Je serais aussi allée chercher des Caro inconnues pour montrer que si les vedettes sont victimes de trolls, «le vrai monde» aussi l’est. Une enseignante au primaire de mon entourage immédiat s’est d’ailleurs fait troller par le parent d’un élève à un point tel qu’elle y a presque laissé son job…

Épatant de voir à quel point, en personne, confrontés par une McQuade plus froide et distante qu’agressive à leur endroit (combien de tisanes à la verveine a-t-elle bues pour se contenir ainsi? j’en veux…) à la violence de leurs propos, les trolls se dégonflent et reconnaissent que oui, avec le recul, ils sont peut-être allés (trop) loin pour exprimer leur désaccord.

Ce qui est frappant aussi, c’est de constater à quel point ces trolls semblent démunis intellectuellement, s’exprimant pour la plupart dans un mauvais français, ignorant la nature fondamentale de ce contre quoi ils s’insurgent, s’emmêlant dans des termes et notions, comme l’islamisme, qui, non, n’a pas la même signification que l’intégrisme.

Si un peu plus de la moitié des Québécois éprouvent des problèmes de littératie, qu’ils n’arrivent pas à comprendre le sens de ce qu’ils lisent, je ne suis pas étonnée de l’ignorance qu’ils témoignent à l’égard de la différence, puis de leur peur érigée comme moyen de défense sur les réseaux sociaux à ce qu’ils perçoivent comme une menace. 

Photo: Facebook Télé-Québec
Photo: Facebook Télé-Québec

Code de vie virtuelle

Si certains se défoulent chez eux entre deux brassées de lavage sans jamais mettre leurs menaces de viol ou de meurtre à exécution, d’autres, comme Alexandre Bissonnette, le tueur de la Grande Mosquée de Québec, passeront à l’acte.

Comment contrer le phénomène? soulève aussi comme question Troller les trolls. Comme Gabriel Nadeau-Dubois l’exprime, je pense aussi qu’il faudra désormais enseigner un code de vie virtuelle dès l’enfance. Ce n’est pas parce que nous vivons dans une société démocratique qui permet une grande liberté d’expression qu’il faut en profiter pour déverser du fiel quand bon nous semble, au même titre qu’il est interdit, dans la vie réelle, de donner des coups sur l’ami qui ne veut pas nous prêter son ballon ou de regarder sous la jupe de sa voisine de pupitre à l’école.

Dans mon monde idéal, quand je porte des lunettes rose nanane, j’ose même imaginer qu’on puisse un jour créer des rencontres organisées entre groupes variés de la population, juste pour mettre ça très clair auprès de l’ensemble de la population québécoise que l’Autre, bien que d’origine, de religion, de genre, d’orientation sexuelle ou de je-ne-sais-quoi de différent de soi est aussi un être qui aime, rit, pleure, mange, dort, enfante, doute, angoisse, perd et meurt. Je suis pas mal sûre qu’on aurait le clavier moins furieux.

Je craque pour… (et je pleure)

S’il était le dernier des chanteurs des géants de la chanson française,
Charles Aznavour, décédé au premier jour d’octobre d’une défaillance cardio-respiratoire à l’âge de 94 ans, aura permis d’inspirer les plus jeunes issus d’autres générations, en France comme au Québec, voire d’ailleurs dans le monde. Responsable de la bande sonore de la vie de beaucoup de gens, il m’aura personnellement permis d’accoucher dans une «certaine allégresse» puisque c’est sur ses chansons que j’ai donné naissance à ma fille Ophélie en 2013. Parmi les premiers que j’ai eu à interviewer comme journaliste au début des années 2000, il demeure un des plus accessibles et des plus vrais, insistant même pour passer plus de temps avec moi. Les plus grands…

En concert à Megève en janvier 1977. Photo: Facebook Agence France Presse
En concert à Megève en janvier 1977. Photo: Facebook Agence France Presse