La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Plus d’influences que de splendeurs

Fiston a sept ans, et jusqu’au mois dernier, au classique «qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand?», il répondait joueur de balle-molle. Ça me faisait rire parce qu’il n’avait jamais joué de sa vie. Puis, pourquoi ne pas répondre «baseball»? En devenant joueur dans la MLB (la ligue de baseball majeur), il aurait pu m’aider à payer ma retraite de pigiste. Trêve de plaisanterie, récemment, il a changé d’idée. Il veut devenir youtubeur. Pourquoi? «Pour être connu.» Je vais lui faire découvrir Splendeur & Influence, désormais disponible sur l’Extra de ICI Tou.tv, ça presse, et, du coup (il connaît bien sûr l’expression), me gâter avec le succulent humour grinçant et parodique de Marc Brunet aux textes. Parce qu’il vaut mieux en rire.



Fiston ne saisira bien sûr pas toutes les nuances et le second degré de la série fabuleuse, mais ça me donnera l’occasion de creuser la question de la célébrité avec lui.

Sur YouTube, il raffole des Français Squeezie et Cyprien et, beaucoup trop, des aventures de la Famille Ventura, une smala québécoise cette fois, composée de l’influenceuse Priscilla Brosseau, de son mari Emmanuel Ventura et de leurs trois enfants. Ils ne sont pas connus dans les médias traditionnels, mais sur TikTok, Instagram et bien sûr sur YouTube, où leurs vidéos ont accumulé plus de 80 millions de visionnements depuis la création de leur chaîne, en 2015.

S’ils s’amusent à se donner des défis, ils sont surtout dans une apologie du consumérisme à outrance, du clinquant, de ce qui flashe. Pas de quoi mettre la police à leurs trousses, mais ils sont énervants comme ce n’est pas possible avec leur culte des marques, de Walt Disney, de Barbie, des bonbons, etc. Quant aux valeurs environnementales, on repassera. Or, ils sont connus. Comme influenceurs, ils doivent recevoir une tonne de cadeaux. Pas fou, fiston veut aussi être connu pour recevoir des privilèges.

Pouvons-nous le blâmer? Quand j’ai récolté une contravention salée la semaine passée, j’aurais aimé moi aussi être connue. Ça aurait peut-être joué en ma faveur… J’aurais aimé aussi me faire creuser une piscine gratuitement comme c’est le lot en ce moment de certains influenceurs que le public québécois aime bien. Fiston veut tout ça.

C’est à moi de contrôler ce qu’il visionne, de changer ses perceptions naissantes quant au vedettariat, mais difficile d’être convaincante alors que je suis la première à constater que dans les médias, beaucoup se font offrir des ponts d’or pour des idées de projets, sans faire d’efforts, par le simple fait qu’ils soient connus. Très frustrant pour ceux qui travaillent d’arrache-pied avec conviction et rigueur de voir qu’un influenceur obtient des contrats sur la seule base qu’il soit connu. Même s’il n’a rien prouvé, qu’il n’a même jamais fait ses classes. J’ai vu ça.

Désolée de vous déprimer en mai, mais Splendeur & Influence m’a donné le prétexte pour remettre en question cette culture du vide. Photo: Radio-Canada

Si vous saviez aussi le nombre d’auteurs qui publient pour se révéler enfin ou pour sortir de l’ombre après des années d’obscurité. Pas parce qu’ils aiment sincèrement la littérature (beaucoup ne lisent même pas), pas parce qu’ils ont une pensée à développer, un combat à mener ou des maux à panser. Non, juste pour se faire (re)voir, et espérer que les paillettes les propulsent partout. Que de gaspillage de papier, de dévalorisation d’un métier dont les conditions sont plus difficiles financièrement que glamours.

Plusieurs de ces pseudo-auteurs en ressortent déçus et amers, ne publiant qu’une ou deux fois, mais suffisamment pour faire ombrage à des livres d’écrivains moins connus qui vaudraient, eux, le détour. Je dirais que plusieurs veulent devenir journalistes pour les mêmes raisons, pour la possible vitrine que ça leur donnerait d’avoir devant eux un micro et une caméra. Idem pour toutes les professions qui offrent une tribune.

Cette quête de reconnaissance est triste et exaspérante, mais en même temps, elle occupe la place qu’on veut bien lui donner comme consommateurs, téléspectateurs, internautes, lecteurs, etc. C’est aussi le reflet d’une culture du vide, de la loi du moindre effort, de la fausseté et d’une superficialité triste à mourir.

Désolée de vous déprimer en mai, mais Splendeur & Influence m’a donné le prétexte pour remettre en question cette culture. Ça fait du bien aussi d’en rire. Les influenceurs ne disparaîtront jamais, mais peut-être que grâce à cette série accessible et gentiment moqueuse, ils reverront leurs motivations. À moins que le fric, le «pouvoir», les passe-droits aient toujours le dernier mot. Poser la question…