La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Pourquoi j’aime Sonia Benezra

J’ai toujours aimé Sonia Benezra pour sa sensibilité, son écoute, son professionnalisme. Elle appartient à cette catégorie d’intervieweurs qui mettent leurs invités au cœur de la lumière sans chercher à s’illuminer eux-mêmes…



Six ans après la fin de Benezra reçoit, en 2012, voilà qu’elle reviendra très bientôt avec Tout le monde aime (TVA). Enfin. On dit le plus grand bien du concept assez simple, mais efficace toujours quand c’est bien mené, qui est celui d’accueillir des personnalités aimées en célébrant leur parcours avec fans et artistes invités. Notons aussi que Benezra a le don de mettre ses invités à l’aise, tellement qu’ils se confient comme nulle part ailleurs. Puisqu’elle ne joue pas à la «fausse fine», qu’elle ne cherche pas à épater la galerie avec des questions recherchées dont on ne retire rien finalement, ni à déstabiliser pour faire sa brillante, les gens s’ouvrent comme chez le psy, remballent leur sempiternelle cassette pour offrir autre chose que le réchauffé entendu mille fois ailleurs dans d’autres émissions avec des «vedettes», qui se parlent entre «vedettes».

En entrevue avec Vanessa Guimond au Journal de Montréal, l’animatrice de 57 ans expliquait que son expérience (lire ici son âge) de même que son sexe ont joué en sa défaveur durant les années où elle cherchait du travail… Ces dernières années, on a même conseillé à celle qui a fait ses débuts en animation il y a plus de 30 ans à Musique Plus de «mettre de côté ses "idéaux" de talk-shows et d’émissions de variétés, lors de rencontres professionnelles».

Photo: Facebook Sonia Benezra
Photo: Facebook Sonia Benezra

Les saveurs du mois

«Tasse-toi matante, prends donc ta retraite. Au suivant!» M’entendez-vous hurler? Le cas de Benezra n’est pas unique, malheureusement. Certains poireautent depuis plus longtemps encore, y allant de propositions de projets en propositions de projets qui, en fin de compte, ne donnent rien, voire pire, qui se retrouvent même parfois «légèrement» modifiés puis pilotés par d’autres, plus vedettes, plus jeunes, plus «comiques» – on aime donc ça, le beau monde comique… –, plus dans l’air du temps.

La télévision québécoise est excitante, certes, innovante et pertinente souvent, mais elle est ingrate en titi aussi. J’ose même dire à des jeunes qui rêvent d’en faire d’y penser fort, fort, fort, avant d’embrasser une carrière en télé devant les caméras, de le faire pour de «vraies bonnes raisons», dans une optique de transmission, de partage, pas juste pour poser et être connus. Si l’ascension rapide de quelques personnalités a donné des bijoux en relève télévisuelle, ça a été des fiascos pour d’autres. Il ne suffit pas de jouer dans une téléréalité ou de se mettre en vedette sur ses réseaux sociaux avec une horde de «suiveux» pour être capable de mener une entrevue, faire des liens, lire des dossiers de recherche, comprendre le contenu, alléluia. Le métier s’apprend, s’étudie ou se peaufine en observant des plus expérimentés qui transmettent volontiers. Il faut bûcher, faire ses classes, gravir les échelons.

Être connu pour être connu

«Au Québec, si on veut travailler dans le milieu du showbiz, il faut être connu… Les médias donnent de l’attention aux gens connus et les télés engagent des gens connus, donc ça fait un cercle vicieux», a déclaré Catherine Beauchamp, animatrice du Tapis Rose, lors de son discours de lauréate au gala-bénéfice du FCTMN – Femmes du cinéma, de la télévision et des médias numériques, le 2 mai dernier. Existant depuis 1991 (sous une autre appellation), le FCTMN a pour mission d’assurer une meilleure représentativité des femmes dans l’industrie du cinéma, de la télévision et des médias numériques, en plus de rendre visible leur travail, de renforcer leurs liens et de soutenir leurs parcours professionnels.

Beauchamp, qui est une amie – je le mentionne par souci de transparence –, déclarait aussi ceci au sujet de la création de son webmagazine, il y a dix ans, une éternité pour une plateforme web: «Je me disais, à l’époque, je vais me faire une télé à mon image, je vais être tellement fantastique qu’il y a un producteur qui va me voir, qui va m’engager et là je vais faire de la télé! Dix ans plus tard, je suis à la radio, je suis toujours sur le web et je ne fais pas de télévision…» Sans possibilité de percevoir des crédits d’impôt, en travaillant donc d’arrache-pied pour poursuivre sa rose aventure – qui fait rayonner des tonnes de personnalités artistiques, principalement des actrices et réalisatrices d’ici et d’ailleurs sur des tapis rouges –, gagner sa vie relève des commanditaires, certes, mais surtout de sa détermination hors du commun d’abord et avant tout. Dommage que notre télé se prive de son audace et de son authenticité.

Heureusement donc qu’il y a le FCTMN pour reconnaître le talent des femmes dans cette industrie qui ne fait pas de cadeaux à personne, et encore moins aux mères, à celles qui prennent de l’âge, aux originales, aux fortes en gueule, bref, à celles qui ne collent pas à de quelconques standards lisses et incompréhensibles.

Beauchamp a conclu son discours en remerciant Lili, sa fille unique de quinze ans, élevée en garde partagée dans des conditions pas toujours roses justement... C’est beaucoup pour elle, pour lui donner l’exemple, qu’elle se bat encore pour sa passion et ses droits de reconnaissance. 

Photo: Facebook Le Tapis rose
Photo: Facebook Le Tapis rose

Je craque pour… Le lambeau de Philippe Lançon (Gallimard)

Journaliste et auteur, Philippe Lançon a vécu les attentats au Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. S’il a survécu, il n’en est pas moins resté marqué jusque dans sa chair; douloureuse au cours des trois mois de greffes lors desquelles, entre autres, son péroné droit a servi pour remplacer son menton explosé sous les balles. Sans sentimentalisme appuyé, avec une sobriété et une description quasi chirurgicale des événements, ce récit est un chef d’œuvre, de ceux auxquels on se référera toujours pour se souvenir de cette tragédie d’un point de vue littéraire.

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