La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Quand les crabes volent nos idoles

J’ai peur des crabes. Pas les crabes gris, spongieux, de sable ou des neiges qu’on déguste au printemps en Gaspésie. J’ai peur des tumeurs cancéreuses qu’Hippocrate a été le premier à comparer à des crabes, justement, en 400 quelque avant Jésus Christ, à cause de leurs pattes merdiques, semblables aux rayons des tumeurs. Et puis, ils sont sournois ces crabes-là, ils avancent de côté, surgissant de nulle part, dévastateurs. Nécrophages, ils s’étendent pour mieux finir de dévorer leurs proies affaiblies et ceux qui les aiment; les victimes collatérales. Mais, ces sales bêtes n’ont plus besoin de présentation, n’est-ce pas? Elles ont déjà sévi près de chez vous, contre vos proches ou vous-même…

La semaine dernière, quelques heures après s’être emparé de ma chatte, ma complice aimante de treize ans (j’imagine qu’il faut aimer les animaux pour comprendre la douleur ressentie), le crabe a aussi dérobé la vie du comédien et musicien Hugo St-Cyr, l’icône de mon adolescence, dans son rôle de Michel Couillard dans Watatatow, mon Friends à moi, le téléroman qui me sortait de mes petits drames quand je débarquais de l’autobus jaune, jour après jour, la pause bien méritée avec une tartine de Nutella juste avant de faire mes devoirs. Couillard et son interprète – je ne crois pas qu’ils étaient si éloignés l’un de l’autre dans la réalité – représentaient pour mes copines et moi l’idéal du chum que nous rêvions d’avoir; avec son air de faux bum, sa répartie, sa sensibilité, son côté rock-star, ses imperfections physiques, comme ses oreilles décollées qui lui donnaient une «drive» et qui nous faisaient - un peu plus - accepter nos propres différences. Et puis, Couillard n’était pas méchant avec les filles, juste maladroit par moment, trop curieux et indépendant pour rester éternellement avec la belle Sophie Bonin-Jutras qu’on enviait autant que Katerine-Lune Rollet qui l’incarnait et qui embrassait «pour de vrai» St-Cyr à l’écran. Ouch.

Les hommages en ligne

Comme vous peut-être, il y a deux ans, j’ai appris par les médias qu’il était gravement malade. Comme je ne l’avais jamais rencontré de ma vie et qu’il n’apparaissait déjà plus tellement à l’écran depuis quelques années (on en a toujours que pour les dix ou quinze mêmes têtes d’affiche québécoises), j’avoue ne pas avoir songé à ce qu’il pouvait devenir. Et puis voilà que le 24 septembre en après-midi, par le biais du compte Facebook de la mère de ses deux filles, j’ai su qu’il avait perdu son combat contre le cancer des os. Sur les réseaux sociaux, il y a eu un tsunami de réactions dans les heures qui ont suivi, notamment celle de la chanteuse Mathilde Laurier qui, seule à la guitare, a repris la chanson-thème de la célèbre émission jeunesse des années 90. Carrément buzzant.

Beaucoup d’anciens fans de Watatatow, en se souvenant de Hugo St-Cyr, on souligné son âge: trente-six ans. Trente-six ce n’est pas vingt, bien sûr, mais c’est encore assez jeune pour résister aux crabes, non? Non. Et pourtant, je sais bien que le cancer n’attaque pas en fonction de l’âge, que plein d’enfants succombent chaque année au cancer, je sais que c’est l’hécatombe, que la maladie est une salope à éliminer le plus vite possible.

En partant pour toujours, l’idole de ma jeunesse a fait retentir dans ma tête le tic-tac du temps qui passe et que je n’entendais pas, comme plusieurs que nous sommes; prisonniers dans le tourbillon de la job, des flos, des repas à préparer, des vacances à planifier, du budget serré, des «pour qui on va voter, on ne sait vraiment pas, c’est de la m…» Tic-tac… Tic-tac…

Alors, voilà, quand c’est une personnalité de notre âge et marquante de la télé qui tire sa révérence, c’est un peu comme si on réalisait que ce qui restait de la naïveté de l’adolescence venait de s’éteindre pour de bon, dévoré par cette saleté de crabe. Là, il est trop tard pour se dire qu’on aurait donc aimé voir plus souvent St-Cyr à l’écran ces dernières années, qu’il aurait fallu écouter sa musique, que… Il est toujours trop tard pour saluer nos idoles quand elles nous quittent. Il faut plutôt continuer, n’oubliant pas de tendre parfois l’oreille pour saisir au vol le décompte du temps qui s’écoule, rester conscient de la fragilité de tout. Au moins, il y aura toujours les réseaux sociaux pour nous ramener à l’ordre quand une autre de nos idoles s’en ira et pour, dans sa déferlante, nous faire revivre, l’espace de quelques heures, le parfum candide de nos treize ans.

Mes condoléances aux proches d’Hugo St-Cyr. Courage à ses petites filles, pour qui leur père continuera d’être le plus fort.

Je craque pour…

·      L’album La maison du monde, de Catherine Major.

Catherine Major dévoilait le 18 septembre dernier La maison du monde, nouvel opus qui arrive quatre ans après Le désert des solitudes. En collaboration avec Jean Massicotte à la réalisation, ce joyau s’apprécie au fil des écoutes, quand les textes sur l’amour, l’exil, la transmission, comme du velours, nous pénètrent pour ne plus jamais ressortir. Parce qu’ils sont puissants, parce que l’auteure-compositrice-interprète de Montréal a l’instinct pour saisir le monde à bout de bras, le secouer et puiser dans ce qui en retombera, j’adore. L’artiste effectuera sa rentrée montréalaise le 17 mars 2016, au Théâtre Outremont.

·      Les Journées de la culture

Partout au Québec, les 25, 26 et 27 septembre derniers se déroulaient les fameuses Journées de la culture, qui, pour cette édition, mettaient l’accent sur la thématique du cinéma. Anaïs Barbeau-Lavalette, Jean-Carl Boucher, Claude Deschênes, Marie-Joanne Boucher et Pierre Brassard étaient les ambassadeurs de ces trois jours tissés d’activités qui rappellent, et ce n’est pas un luxe par les temps qui courent, l’importance de la culture au cœur de la cité. Que ces journées laissent des traces indélébiles dans la tête des passionnés, et des décideurs, bien sûr!