La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Quand il reste La Voix

Ça fait des jours que j’ai envie d’écrire ce billet en tentant de comprendre la folie collective entourant l’émission La Voix, diffusée les dimanches sur TVA, que je n’avais pas trop envie de suivre depuis ses débuts, parce que je ne suis pas une grande téléphage (je lis des livres, c’est en grande partie ma job!) et aussi, je l’avoue en effleurant les touches du clavier, parce que j’ai longtemps cru à tort avoir affaire à un banal jeu de télé clinquant. Je ne suis pas snob ou intello, mais j’aime la télé qui renseigne, vulgarise, instruit, séduit par ses innovations et je craque pour l’humour et l’ironie. Malgré ses qualités et les gens qui la font, La Voix n’entrait pas vraiment dans ces catégories, bien que chez les juges, Éric Lapointe, sans chercher à être comique, me fait beaucoup rire avec son faciès teinté de bronzage et ses mimiques teintées de candeur. Le fossé entre le dur à cuire multibagué au franc-parler et l’aura de douceur qui émane de lui, plus que jamais tandis qu’il prend de l’âge, contribue à cet effet.

Photo: Facebook La Voix
Photo: Facebook La Voix

Ainsi, je suis tombée dans la frénésie un soir de grippe, en zappant pendant les pauses publicitaires de Tout le monde en parle, et j’ai réalisé qu’au fond, si autant de gens adhèrent religieusement à cette émission dominicale, c’est parce qu’au-delà des qualités télévisuelles qu’on lui reconnaît, on voudrait tous pouvoir «chanter pas pire», je veux dire sans fausser, sans se faire regarder de travers ou perdre toute dignité en s’enfargeant dans les paroles d’une toune dont il faut suivre les paroles sur l’écran d’un bar karaoké bondé du Village.

Passion d’hier à aujourd’hui

Et ça ne date pas d’hier… Certes, il y a eu Star Académie au début des années 2000, mais rappelons-nous la passion dévorante des gens à une autre époque pour Les jeunes talents Catelli, Star d’un soir voire la Soirée canadienne, qui est d’ailleurs encore diffusée sur Prise 2.

Ceux qui font du karaoké vous le diront, il y a un réel effet thérapeutique à se prêter au jeu, comme si soudain en entonnant «Girls Juste Want To Have Fun» de Cindy Lauper, on devenait cette chanteuse qui explosait en 1983, l’espace de deux minutes et demie. Qui n’est pas nostalgique un tantinet du bon vieux temps? Et puis, on cherche tous à briller pendant NOTRE tour de chant, à épater nos amis, qui eux, au fond, ont juste hâte de prendre notre place sur «scène» pour vivre leurs deux minutes de gloire. Vite comme ça, en imaginant le scénario, ça peut vous sembler absurde, mais il y a réellement un sentiment d’être – un peu – une star qui surgit dans le cerveau de ceux qui prennent le micro avec vigueur dans ces soirées sans prétention. Il n’est jamais si loin l’enfant qui faisait semblant de donner un show avec une brosse à cheveux devant son miroir.

Avec le plaisir de chanter vient le plus important, le bien-être physique et mental: hurler à tue-tête, exprimer des histoires, bouger, taper des mains, se défouler, faire des duck faces sans passer pour un tata, mais parce qu’il faut bien être expressif… Même les plus sceptiques et coincés d’entre vous le faites dans la voiture à l’heure de pointe en entendant un tube envoûtant à la radio. Avouez-le donc.

Imaginez alors à quel point ça doit être jouissif de posséder le talent de chanter. Elles ont tellement dû avoir du plaisir, les douze personnalités féminines qui chantent en duo avec Stefie Shock sur son album de reprises de chansons de Gainsbourg qui sort le 26 février. Jalousie. Jalousie. Jalousie. On fera comme elles… dans notre cuisine!

Procuration quand tu nous tiens

Pour en revenir à La Voix, en regardant la plupart des candidats se succéder, j’ai ressenti leur décharge libératrice. Par procuration, mais c’est mieux que rien. À force de vouloir être à leur place, stress en moins, les téléspectateurs sont inexorablement conquis, dopés, devenus de véritables junkies désireux de revivre ces sensations, dimanche après dimanche.

Ce que je peux les envier les chanteuses, et quand en plus elles savent écrire les paroles de leurs chansons, composer leur musique et s’accompagner à la guitare ou au piano, je m’incline. On dit qu’à force de suivre des cours de chant, c’est possible d’y arriver. Ben voyons donc! Ça fait vingt ans que je tente de comprendre l’expression «chanter du ventre», que c’est un peu la base, qu’il faut privilégier ça au «chant de la gorge»… À bout de souffle, je lâche prise, hantée par le rire de tout ceux qui se sont un jour moqués de ma voix de crécelle. En attendant peut-être ma réincarnation éventuelle dans le corps d’une soprano, je fais comme des milliers d’autres et je chante par procuration le dimanche soir.

Je craque pour…

L’installation Decolonial Gestures or Doing it Wrong ? Refaire le chemin, de l’artiste algonquine multidisciplinaire Nadia Myre, présentée jusqu’au 29 mai au Musée McCord.

Photo: Marilyn Aitken, Musée McCord
Photo: Marilyn Aitken, Musée McCord

En s’inspirant de magazines féminins de l’ère victorienne (1837-1901) remplis de patrons d’objets et de vêtements d’inspiration autochtone témoignant de combien les femmes de cette époque aimaient «l’exotisme» des premières nations, l’artiste a choisi de confectionner quatre des objets figurant dans ces revues. Pour souligner l’importance trop souvent négligée de la tradition orale dans la transmission des connaissances, la courageuse et patiente Nadia Myre a suivi les instructions de confection seulement en écoutant des enregistrements audio dépouillés de tout indice sur leur nature. Aux côtés des ancêtres de nos magazines féminins actuels, les résultats de son travail sont impressionnants et valent à eux seuls le détour. Étonnant et triste de constater à quel point les techniques de création héritées de nos ancêtres ont été éliminées de notre héritage culturel qui s’étiole comme peau de chagrin.