La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Des petites fesses interdites chez Trump

Avez-vous vu passer la nouvelle selon laquelle le plus récent album jeunesse écrit par la Québécoise Elise Gravel et intitulé La tribu qui pue (illustré par Magali Le Huche, éd. La courte échelle) n’a pas trouvé d’éditeurs américains sous prétexte qu’il est trop obscène avec ses personnages de gamins vivant dans les bois, le sexe et les petites fesses à l’air… ? Ah hum.



Enthousiaste, je l’ai lu à mes petits – qui ont adoré l’histoire. J’en ai même parlé avec Caroline Lacroix dans ma chronique hebdomadaire à RDI Matin sans jamais y voir l’ombre d’une perversion. JAMAIS. Ces petits personnages revendiquent une certaine autonomie en vivant sans parents, en forêt, «de l’autre côté de la montagne des Grands-Pins», et, avec leur «chef de tribu», la petite Fanette Ducoup, ils tentent d’échapper à la directrice de l’orphelinat qui cherche par tous les moyens à les capturer. Et patati et patata. Je soupçonne par ailleurs que l’envie des jeunes protagonistes de faire les choses par eux-mêmes est tout aussi problématique, sinon plus, que la nudité apparente à une époque où elle est plus accessible que jamais…

La tribu qui pue d'Élise Gravel.
La tribu qui pue d'Élise Gravel.

Qu’avons-nous fait de Fifi et Nicolas?

Ce type de «rejet» américain ne serait pas que l’apanage de nos voisins de frontière, à en croire le bédéiste Tristan Demers dans L’imaginaire en déroute (éd. de l’Homme), un essai-choc disponible à compter du jeudi 3 mai. «Les quelques enseignants qui s’aventurent à faire découvrir Fifi Brindacier ou Le Petit Nicolas le font à leurs risques et périls, aussi classiques que puissent être ces chefs-d’œuvre de la littérature enfantine. L’héroïne squatte des appartements, conduit sans permis et fume sur son cheval; l’autre fait des mauvais coups et l’école buissonnière… Quels mauvais exemples pour notre jeunesse! […]», écrit-il. On en est venu à exiger que les œuvres de fiction, qui se doivent d’être fantaisistes et empreintes de l’imagination des auteurs, soient une extension de la mission pédagogique de l’école, en affichant des exemples de bonne conduite et de bonne morale dans le but de faire de nos enfants de «parfaits citoyens». Demers poursuit en déclarant que des commissions scolaires avaient, en 2017, mis à l’index (oui! oui!, à l’index…) des BD comme Les Nombrils et Le Petit Spirou en raison des subtiles «allusions à l’éveil sexuel ou à la puberté qu’on y trouve». Le bédéiste aurait lui-même reçu un courriel d’une école de l’Outaouais lui reprochant une case dans laquelle son personnage de Gargouille est nu sous la douche (de dos…). Il aurait fallu quoi? Qu’il se savonne tout habillé?

alt="imaginaire-en-deroute-tristan-demers"

Est-ce qu’on ne serait pas en train de croire que nos enfants sont incapables de réfléchir par eux-mêmes au contact de la fiction? Je ne sais pas pour vous, mais moi j’en ai marre de ce contrôle sur ce qui est supposément bon et mauvais pour la jeunesse. À trop vouloir les faire entrer dans de petites cases lisses et parfaites aux côtés d’autres parfaits, il me semble qu’on oublie leur capacité à comprendre qu’une histoire reste une histoire imaginée par un créateur, pas un code de vie à reproduire. Croyez-moi, ce n’est pas parce que Martine trippait de passer l’aspirateur pour aider sa maman dans l’éponyme série culte de mon enfance, dans les années 1980, que je me suis amusée à reproduire ce «charmant» exemple d’altruisme et de domesticité… Pour lui faire plaisir, j’ai préféré de loin lui confectionner avec amour ces fameux colliers en macaronis dont Demers déplore l’extinction, ainsi que celle des jouets créatifs (Meccano, Tinkertoy, Playmobil, Etch A Sketch, LEGO, etc.) au profit de «jeux prémâchés». «On pouvait fabriquer n’importe quoi avec ça! Aucun guide, pas d’instructions, pas de kit style IKEA à monter! On inventait, quoi!»

Parents aux aguets

Il déplore aussi l’absence d’enfants «en liberté» dans les espaces verts, voire sur le bitume des ruelles. «Cette hyper-parentalité qui nous définit nous joue peut-être des tours, pense-t-il. À vouloir contrôler les va-et-vient de nos enfants pour assurer leur sécurité, les empêche-t-on d’entrer en relation avec leur environnement extérieur? […] De leur laisser prendre le contrôle des éléments qui les entourent pour les transformer au gré de leurs idées?» Quant à la menace humaine extérieure, le créateur observe que le taux de criminalité est en baisse constante depuis vingt ans et que les statistiques démontrent qu’un enfant des années 2010 ne court pas plus de risque de se faire enlever dans un parc qu’au milieu des années 1980.

Mea culpa, je suis la première à vouloir tout contrôler quand je vois mes mousses courir dans notre ruelle de Rosemont. Hiiiii, haaaa, houuuuuu… Va-t-il tomber en courant tout croche avec ses souliers-un-peu-trop-grands-pour qu’ils-lui-fassent-longtemps? Va-t-elle percuter le lampadaire avec sa trottinette? Leurs casques sont-ils bien ajustés? Nulle n’est prophétesse en son pays, certes, mais en lisant cet essai, j’ai remis en question mon propre rapport à l’imaginaire et à la créativité. Pourquoi est-ce que je ne prends jamais le temps de faire faire des bonds aux cailloux dans les flaques d’eau – il pleut assez souvent, elles devraient servir à quelque chose... C’est quand la dernière fois que je me suis allongée sur l’herbe pour compter les étoiles? Je (re) commence ça. Que l’adulte en moi ne freine jamais plus la gamine. Alléluia.

Je craque pour…

L’Amour et le Chaos, nouvel album d’Alfa Rococo

Quatrième opus pour ce duo montréalais, cet album réalisé totalement par David Bussières est empreint de rythmes résolument modernes, avec encore cette touche vintage qui me plait tant chez eux. David Bussières et Justine Laberge ont des textes splendides qui restent en tête à la manière de petits romans marquants. Il s’agit d’un album achevé à tous points de vue, un album qui donne envie de danser tout l’été sur les balcons de la ville en hurlant à tue-tête. Bravissimo.

INCENDIE, premier extrait du nouvel album “L’Amour et le Chaos”  Photo: John Londono  Graphisme: Nofolio - par Noémie Darveau. Facebook Alfa Rococo
INCENDIE, premier extrait du nouvel album “L’Amour et le Chaos”
Photo: John Londono
Graphisme: Nofolio - par Noémie Darveau. Facebook Alfa Rococo