La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le livre de Sophie Grégoire Trudeau: en attendant ce qui n’a pas été écrit

J’ai lu le livre de Sophie Grégoire Trudeau intitulé Entre nous. Mieux se connaître, mieux s’aimer (KO Éditions). D’abord, je salue le courage de cette femme d’avoir publié à cœur ouvert et en toute transparence son parcours vers une relation plus saine envers elle-même, de l’enfance à l’âge adulte. C’est tout à son honneur de s’être ouverte sans tabou sur ce délicat sujet.



Celle qui en 2022 est devenue la toute première bénévole nationale de l’Association canadienne pour la santé mentale, qui vise à déstigmatiser la santé et les maladies mentales, y va sur près de 300 pages, dans un magnifique livre de style table à café, de ses souvenirs, de fragments d’intimité, de paroles de mentors et d’êtres qui lui ont été inspirants comme humaine, comme mère, amie et citoyenne du monde. Bien sûr, on l’imagine bien, en ayant été pendant plusieurs années la «première dame» du Canada, elle a aussi eu l’occasion de rencontrer des personnalités publiques et des leaders du monde entier, des gens que le commun des mortels ne croisera jamais. Plusieurs personnes y trouveront certainement des ancrages pour aller mieux.

Maintenant, je me demande s’il serait possible à Sophie Grégoire Trudeau d’écrire, dans un second volet peut-être, ce qu’on ne sait pas sur la vie des compagnes de chefs d’État. Ça m’intéresserait qu’elle se révèle davantage sur les changements qu’occasionne le fait d’être propulsée du jour au lendemain dans l’arène publique, de devenir la proie de regards et de commentaires souvent misogynes, de jugements disgracieux. Le peut-elle seulement ou demeure-t-elle assujettie à des clauses de confidentialité? J’aimerais comprendre jusqu’où va sa liberté de parole, d’être entière aussi et à quel point ces femmes, même «après» la vie politique, peuvent s’avancer sur des territoires plus privés sans être muselées.

Voir en coulisses

À quoi ressemblait le quotidien sur Sussex Drive? Parce que oui, en apparence, il y a de quoi faire fabuler plusieurs jeunes filles biberonnées aux contes de fées et de princesses. Beaucoup en rêvent, j’en suis convaincue, sans même savoir de quoi il en ressort exactement.

On imagine ces épouses accompagnées d’aides domestiques en tous genres, bénéficiant de tenues griffées, de repas gargantuesques, de rendez-vous exaltants aux quatre coins du monde, de soirées uniques à converser avec les personnages les plus marquants de l’Histoire.

Dans un monde où l’écart entre les riches et les pauvres se creuse, où de plus en plus de familles de la classe moyenne – désormais – peinent à boucler leurs fins de mois, à se loger, à élever sainement leurs enfants, à trouver des ressources en soins médicaux, à faire instruire leur progéniture dans des écoles décentes, n’est-ce pas normal d’aspirer à plus de confort et de luxe, donc de regarder ces vies glamours avec une certaine fascination, voire avec de l’envie?

Est-ce un objectif idéalisé à tort? J’en suis pas mal sûre, sûre aussi que le conte de fées n’existe pas, que sous la couverture de l’histoire réelle – comme dans n’importe quelle histoire de gloire et de paillettes – grouillent quelques vers qui donneraient un autre éclairage sur les revers de la vie politique, à commencer par des aspects méconnus de la vie aux côtés d’un homme puissant, de certaines obligations probablement rétrogrades qui viennent avec...

S’est-elle déjà sentie seule dans une sorte de prison dorée? A-t-elle un jour eu envie de tout larguer par-dessus bord au cours du règne de Justin Trudeau dont elle est séparée depuis peu? Qu’avait-t-elle le droit de faire ou de ne pas faire? Les protocoles ou codes existent-ils encore maintenant qu’elle n’est plus avec lui? Est-ce qu’être la maman des enfants de l’actuel PM implique des marches à suivre et postures exceptionnelles qu’une mère «normale» ne vivra jamais? Doit-elle se promener avec un garde du corps? A-t-elle la possibilité de se remettre en couple et de s’afficher avec un nouvel élu en cours de mandat de son ex? Est-ce que le féminisme actuel peut advenir aussi quand on entre dans les rouages d’un monde politique encore dominé par le boys club? Ça ne peut pas être un jardin de roses, on le sent à demi-mot dans son livre, comme on devine la fragilité, les brisures de la femme derrière l’armure de combattante qui a puisé dans les diktats du bien-être et de la croissance personnelle pour continuer, pour rester digne et donner le meilleur à ses petits.

J’aurais aimé lui poser toutes ces questions, que d’autres en meilleure posture médiatique que moi lui posent aussi franchement en la sortant du moule de «l’intelligence émotionnelle». Qu’est-ce qui nous empêche d’aller scruter sous les apparats? Pudeur? Retenue? Désintérêt? Sans doute une bienséance, un respect tout naturel envers une femme qui veut se refaire, se remettre en selle dans une vie à elle. Je lui souhaite de pouvoir être enfin libre.