La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le poids de la solitude

«On ne dira jamais assez le poids de la solitude, la force qu’il faut pour se tenir seul dans l’existence.» C’est la très humaniste et brillante philosophe Anne Dufourmantelle, décédée en 2017 en sauvant des enfants de la noyade, qui a écrit cette phrase dans La Femme et le Sacrifice.



Cette force nécessaire, Louise Portal la reconnaît aussi dans Seules, nouveauté littéraire dans laquelle elle dresse le portrait de quinze femmes vivant en solo qu’elle a connues et aimées. Bien sûr, la solitude ne touche pas que les femmes, même si, bien souvent, ce sont elles qui en témoignent.

D’ailleurs, les récentes données de Statistique Canada sont probantes: le nombre de personnes vivant seules au Canada a plus que doublé au cours des 35 dernières années, passant de 1,7 million en 1981 à 4,0 millions en 2016. Cette année-là, les personnes vivant seules étaient plus susceptibles d’être de sexe masculin et d’être séparées ou divorcées que par le passé. Avec un taux de 18%, c’est au Québec que l’on retrouve le plus de personnes vivant seules.

On peut vivre seul sans «souffrir» de solitude; je veux dire qu’il y a là une nuance, qu’être seul ne rime pas toujours avec malédiction. Pour plusieurs, ça devient même parfois une délivrance. Je pense à certaines personnes séparées qui, après le départ des enfants de la maison, peuvent enfin se consacrer à leurs passions, vaquer à des occupations autres que celles liées à la domesticité ou voir des amis perdus de vue à travers le continuum infernal d’un rythme de vie effréné.

Dans Seules, Louise Portal dresse le portrait de quinze femmes vivant en solo qu’elle a connues et aimées.

Il existe aussi l’entre-deux de la solitude, quand cet état est nouveau, qu’il n’en tient qu’à nous de décider ce qu’on en fera, lors d’une rupture choisie ou pas, par exemple. «Va-t-elle vous donner des ailes ou vous réduire à une existence de petits pas? J’étais entre deux mondes. Si libre», écrit Véronique Olmi dans Nous étions faits pour être heureux. Cet «entre deux mondes» auquel fait référence l’écrivaine française devient alors un véritable point de bascule qui tristement, parfois, mène à la dépression, voire à la mort.

Parce que «la solitude tue», révélait une étude danoise publiée l’an dernier, nous rappelle Mario Girard dans La Presse, en ajoutant que l’entretenir ferait augmenter les risques de maladies cardiovasculaires et neurodégénératives.

Plusieurs personnes vivant seules connaissent des problèmes de stress et d’anxiété. Contrairement à la croyance populaire, la solitude n’est pas qu’une affaire de personnes âgées. Combien de jeunes sont seuls? Qu’ils soient pris en étau entre deux parents séparés fort occupés, rejetés par leurs pairs ou isolés de par leur attirance vers les jeux en ligne ou les réseaux sociaux, eux aussi peuvent en souffrir, prouvant que la solitude comporte plusieurs visages.

La montée fulgurante des nouvelles technologies au tournant du nouveau millénaire donne désormais la fausse impression d’être entouré en tout temps de ces «amitiés virtuelles» suivies ou entretenues sur l’ordinateur à la maison comme un peu partout via la téléphonie intelligente. Depuis, toutes les raisons sont bonnes pour se brancher au monde virtuel: en file d’attente, dans les transports en commun, au café, au lit pendant les nuits d’insomnie, etc. Cette fausse impression de vaincre la solitude et l’ennui ne fait qu’éloigner les vrais contacts physiques, incluant les regards et les sourires. Les plateformes de rencontres comme Tinder ne font que suivre cette tendance. En somme, les gens ne se visitent plus, ne se draguent plus, ne se touchent plus comme avant. À quoi bon quand tout est à portée de clics et que ça évite un minimum d’efforts pour se présenter à autrui?

Toujours selon La Presse, des chercheurs américains de Chicago seraient en train de mettre au point une pilule pour briser l’isolement. Il s’agirait d’un stéroïde neuroactif appelé prégnénolone, qui atténue le stress ressenti lorsque certaines personnes perçoivent les autres comme une menace sociale. Seul hic, et pas le moindre, l’hormone causerait de la somnolence…

C’est tellement rendu «surréaliste» que même les besoins sexuels peuvent être comblés par la technologie. Et si ça semblait concerner surtout les hommes, sachez que les femmes hétérosexuelles ont maintenant leur Henry, un robot sexuel à intelligence artificielle lancé il y a un an à peine par la société RealBotix. En plus d’être mignon, d’avoir un corps d’Apollon, il a même de l’humour! Oui, oui, d’après Cosmopolitan, lorsque son interlocuteur lui demande de lui faire une blague, le robot lancerait du tac au tac : «Que fait un nuage lorsque sa peau lui gratte ? Il cherche un gratte-ciel.» Ce roi de l’humour qui sous la couette serait, selon son créateur, capable de «performances sexuelles surhumaines» coûterait toutefois entre 11 000$ et 15 000$, en fonction des options choisies...

Henry l’Apollon comique – qui existe bien sûr en version «poupoune» excitante – n’est qu’un tentacule de cette solitude aux mille visages qui sévit partout, sans égards à l’âge, au sexe ou à la classe sociale. Contrairement à la pauvreté ou à la crise environnementale actuelle, la solitude ne se réglera pas collectivement, mais plus à coups de petits gestes altruistes. Offrir de l’aide à un voisin, faire du bénévolat, organiser des sorties ou des activités et s’y tenir, présenter des gens à d’autres, recevoir à la maison sont autant d’initiatives qui permettent de vraies rencontres avec ou sans jouissance charnelle.

L’essentiel, c’est d’être encore capable d’être devant des corps humains qui vibrent et respirent. N’empêche que la naissance de robots multitâches peut inquiéter quant à l’utilité future de l’espèce humaine. Je peux toutefois vous rassurer sur un point, ce texte bien senti a été rédigé par une humaine au cœur battant. 

Je craque pour…

Parents dans un monde d’écrans – Comment vous brancher à l’univers de vos enfants de 0 à 18 ans de Catalina Briceno et Marie-Claude Ducas (éd. de l’Homme).

Dans ce guide fraîchement paru, on y apprend tout sur l’usage des écrans par nos enfants, sur leurs méfaits et bienfaits, sur leurs impacts à plus ou moins long terme. Il donne aussi des trucs fort précieux de lignes de conduite à adopter devant l’utilisation difficilement évitable que font nos petits humains d’aujourd’hui de ces outils technologiques qui parfois nous échappent.

S’il n’existe pas de guide pour devenir de bons parents, en voici au moins un, très à jour, pour être de bons accompagnateurs dans un monde où l’écran et le virtuel ne sont plus des affaires exceptionnelles.