La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La revanche des vieilles

Qu’ont en commun les fort estimées actrices Jennifer Coolidge, Philippine Leroy-Beaulieu, Laure Calamy ou Olivia Colman? La patience, l’ardeur, l’endurance, l’espoir aussi, j’imagine bien. Au-delà de tout ça, elles ont «percé» sur le tard, à un âge où le déclin pourrait, hélas, avoir tendance à s’amorcer pour les femmes matures à l’écran. Certaines, qu’on fait trop souvent disparaître de la télé ou du cinéma, s’accrochent, finiront peut-être par déjouer les statistiques. Serait-ce le début d’une réjouissante tendance?



«Tu as changé ma vie d’un million de façons différentes», a déclaré Jennifer Coolidge au plus récent Golden Globe en remerciant Mike White, le créateur de la désormais célèbre série The White Lotus. Les deux premières saisons diffusées sur Crave sont d’ailleurs un pur délice télévisuel, tant du côté scénaristique que pour les interprétations ou la réalisation. De la haute voltige, je vous assure.

Que ce soit cette dernière donc, une Américaine attachante dans son rôle de l’héritière névrosée Tanya McQuoid dans The White Lotus, Colman, une Britannique à la performance inclassable en reine d’Angleterre dans The Crown, ou les Françaises Leroy-Beaulieu, en impitoyable patronne dans Emily in Paris, et Calamy, en fidèle assistante et maîtresse dans Appelez mon agent, elles prouvent chacune que l’expérience, la maturité payent à l’écran, ou, du moins, en fiction.

Je suis d’ailleurs persuadée qu’après 40 ans, n’importe quel artiste, toutes disciplines confondues, y compris l’écrivain, que je suis bien placée pour connaître, est à son apogée, plus à l’écoute, généreux, sincère qu’à 20 ou 30 ans. Plus assumé et confiant aussi, d’immenses qualités dans la pratique d’un art et des forces qui ne s’acquièrent qu’après quelques débarques, deuils et leçons cruciales.

Cachez ces vieux que je ne saurais voir

Nous avons, de manière générale, une peur viscérale du vieillissement. À voir comment nous traitons nos vieilles et vieux en Occident, je ne suis pas certaine non plus que nous les aimions tant que ça. Ça vaut pour les hommes comme pour les femmes. Or, force est d’admettre qu’à l’écran, l’actrice vieillissante reste plus souvent victime du satané «double standard».

Mon intuition de sorcière me dit néanmoins que les efforts, critiques et dénonciations pour représenter davantage les femmes de plus de 45 ans à l’écran finiront par porter leurs fruits. Et je ne suis pas optimiste de nature. Il faudrait être fou pour ne pas vouloir les voir davantage briller dans leurs interprétations respectives; tantôt solides comme le roc, tantôt somptueuses ou fébriles.

À ce sujet, elles sont aussi en train de prouver qu’il est possible de les sortir des rôles convenus de commères, soubrettes, midinettes, alouette! Et quand elles se parlent entre elles à l’écran, elles peuvent le faire sans parler des hommes, un des trois critères mis en évidence dans le fameux test de Bechdel (Alison), nom de la bédéiste américaine de 62 ans qui a emprunté cette idée à son amie Liz Wallace, et qui met en évidence la surreprésentation des protagonistes masculins ou la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction.

J’affirme aussi avec conviction qu’elles peuvent être des héroïnes de toutes les tailles, origines, orientations et religions, liftées, pas liftées, botoxées, pas botoxées, maquillées, démaquillées...

Personnellement, des Jennifer Coolidge (la vraie, pas ses personnages) qui s’assument, se révèlent, s’affichent et osent avouer leurs failles, leurs désirs, j’en prendrais beaucoup plus. Elle confiait d’ailleurs dans Variety que si son rôle de mère de Stifler dans le film culte de 1999 American Pie ne l’avait pas aidée à jouer plus souvent les années suivantes, ça lui aura au moins permis de coucher avec plus de 200 personnes et que ça ne se serait jamais passé sans ce rôle. En somme, il n’y a pas que Michael Douglas, Julio Iglesias et tous leurs petits amis qui peuvent se targuer d’avoir enchaîné les expériences sexuelles.

Personnellement, des Jennifer Coolidge (la vraie, pas ses personnages) qui s’assument, se révèlent, s’affichent et osent avouer leurs failles, leurs désirs, j’en prendrais beaucoup plus. Photo: Xavier Collin/Image Press Agency. Depositphotos

Libââârté pour toutes!

Je ne suis pas étonnée que ces changements surviennent, vu l’accroissement du nombre de femmes qui scénarisent, réalisent ou produisent. Des accès souhaités qui changent la «game» et qui, évidemment, tendent à montrer à l’écran la réalité dans laquelle nous pouvons toutes nous reconnaître, pas que celle projetée, voire fantasmée, par des êtres non concernés, en somme le male gaze. Encore faut-il laisser à ces créatrices/idéatrices la liberté de décider et de créer, que pour exercer leur job et prendre les décisions qui leur reviennent, elles ne soient pas «forcées» d’obéir à des commandes ou des pressions extérieures comme il y en a parfois quand il s’agit de recevoir du financement.

Tout le monde y gagnera, y compris les futures générations. Plus elles verront une représentation juste et fidèle de la population à l’écran – et ça vaut aussi pour tous les types de diversité –, plus on gagnera du terrain dans l’atteinte de valeurs de justice et d’égalité où rien n’est encore gagné. Le 7 mars dernier, Le Devoir rapportait justement un alarmant constat du secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Il déplorait que «l’égalité» entre les femmes et les hommes dans le monde soit un objectif de plus en plus lointain, qui sera atteint au mieux «dans 300 ans».

Je n’ai pas souligné le cas du Québec, il n’est pas si reluisant et n’échappe pas à la sous-représentation des femmes vieillissantes à l’écran. Quand elles y sont après 45 ans, comme d’habitude, il s’agit toujours des cinq mêmes qu’on adore et que vous connaissez. Je n’aborderai même pas ici la question des journalistes et animatrices qui disparaissent de manière consternante des ondes. Saskia Thuot et Marie-Claude Barette viennent d’ailleurs de perdre leur émission. Hâte de voir si on ajoutera deux femmes de leur âge pour les «remplacer». À moins qu’on y embauche des humoristes qui savent tout faire? Si tel est le cas, je serais étonnée qu’il s’agisse de femmes de plus de 40 ans... Mais je ne demande qu’à être surprise.