La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La revanche des femmes drôles

Je n’avais jamais réalisé à quel point parmi tous les combats à mener pour atteindre l’égalité tant espérée entre les femmes et les hommes, le droit d’être drôle et de rire figurait en tête de liste.



Jusqu’à tout récemment dans l’Histoire, en plus de leur refuser l’instruction, la parole, l’écriture, on ne voulait pas voir les femmes se marrer. Je me demande même encore aujourd’hui si accéder à l’humour ce n’est pas mettre les pieds dans une chasse gardée des messieurs. Encore. On n’a pas fini. Juste pour surcharger d’œstrogènes ce bastion masculin, mesdames, soyez drôles et encore drôles. Cet été, faites-nous éclater de rire, de grâce!

Cette affaire de sempiternel boy’s club des p’tits comiques, il n’y a pas que moi qui le vois. L’historienne française et spécialiste de l’histoire des sensibilités, Sabine Melchior-Bonnet, affirme dans son formidable essai Le rire des femmes Une histoire de pouvoir (PUF), paru il y a quelques semaines, que faire rire a longtemps été une prérogative des hommes, que la société se méfie des rieuses de par le pouvoir subversif de l’humour qui tranche avec la volonté de garder les femmes dans les rangs, à leur place.

Rire, c’est s’abandonner, se «défigurer», ôter une certaine dignité; blaguer, c’est prendre un certain contrôle, exercer un pouvoir; des affaires qui déplaisent même encore parfois à ceux qui préfèrent nous voir prendre notre trou, quitte à esquisser un sourire de Joconde un peu mystérieux, tout pudique. La pudeur, bien sûr…

 

Si Manda Parent, Rose – La Poune – Ouellet et Clémence Desrochers ont fait partie des pionnières de l’humour au Québec, dès les débuts du 20e siècle, que des Marie-Lise Pilote, Lise Dion ou Claudine Mercier ont suivi, faisant une place ensuite à des Cathy Gauthier, Guylaine Guay, puis, enfin, aux «jeunes» Katherine Levac, Rosalie Vaillancourt, Virginie Fortin et compagnie, qui n’ont, soit dit en passant, rien pantoute à envier à leurs confrères, au contraire, Melchior-Bonnet insiste pour rappeler qu’on doit beaucoup aux écrivaines des siècles passés qui ont joué en coulisses avec audace et intelligence fine pour que l’humour puisse entrer dans le monde des femmes.

Par exemple, c’est fou à quel point elle devait assumer son humour, la grande Colette, en écrivant tout au long de sa prolifique carrière au début du 20e des phrases qui en disent long. La citation «La femme est capable de tous les exercices de l’homme sauf de faire pipi contre un mur» fait partie de mes préférées et me rappelle à quel point elle en avait bavé auprès de son Willy de mari qui vampirisait son talent.

Avec Virginia Woolf, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, suivies un peu plus tard de l’incontournable Claire Bretécher, c’est d’abord les femmes de lettres qui ont su mener la lutte – une autre – pour leur droit à rire et à faire rire, surtout. Leurs créations en étaient empreintes, chacune dans leur style respectif, et c’est encore un vrai délice de les lire aujourd’hui. Oui, les blagues des femmes ne deviennent même pas ringardes, elles traversent les siècles, c’est tout dire.

Femmes sur scène, femmes du monde

Ce «droit» à l’humour ne concerne évidemment pas que les professionnelles de l’humour. Je connais d’ailleurs deux, trois femmes – une retraitée de l’enseignement, une dentiste de Varennes et une coiffeuse montréalaise – pas mal plus drôles que beaucoup de membres de l’Union des artistes. «J’pense que c’est parce que je suis drôle que les gars me boudent…, me disait récemment la coiffeuse. Je n’arrêterai pas de faire ma comique, mais je vais mourir vieille fille. C’est le prix à payer.»

«Le rire féminin puise sa spécificité dans ces contradictions: décharge d’une tension entre, d’un côté, l’allégresse triomphale que la femme a de dispenser la vie, et de l’autre, une position de défense, d’endurance, voire d’autodérision face à un ordre masculin phallique», écrit l’historienne.

Il y a deux ans, des chercheurs de l’Université de l’Arizona déclaraient à la lumière d’une étude intitulée Gender and the evaluation of humor at work que faire preuve d’humour au boulot aiderait les hommes à gravir les échelons professionnels, mais nuirait à la progression de carrière des femmes. Étonnés? Pas moi.

En contrepartie, Melchior-Bonnet me rassure un peu quand elle prétend qu’à la lumière de statistiques, l’humour fait de plus en plus partie de l’attente des jeunes couples, qu’ils veulent s’aimer et rire ensemble. On gagne du terrain, mesdames, nos armes sont des blagues bien balancées, elles déconstruisent des châteaux de malheur, défont les tensions, bref, on ne peut pas s’en priver.

Tenez, je vous laisse avec un extrait de ma préférée, la Française Blanche Gardin. Je vous mets au défi de ne pas craquer comme moi. Je la vois dans ma soupe et plus encore. Oui, l’amour séduit aussi. Raison de plus pour cultiver ça, déboulonner les conventions pourries.