La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La philosophie des cons

Avec le beau temps tardif, on peut avoir la mèche courte, et l’œil plus affûté pour percevoir les cons.



Qu’ils se prononcent sur le climat, les chiens méchants, Jody Wilson-Raybould ou le port des signes religieux, ou pire, qu’ils montrent leurs fesses et autres machins sur Instagram, tout peut être prétexte à la connerie. Aussi, on est toujours le con de quelqu’un, bien entendu. Il en existe autant de types qu’il y a de maladies vénériennes, et le principal con réside en nous. C’est du moins ce que prétend dans un mélange savant d’humour et de sérieux le philosophe français Maxime Rovere dans le récent et fort actuel essai Que faire des cons? Pour ne pas en rester un soi-même.

Celui qui s’intéresse à Spinoza, un des philosophes du 17e siècle parmi les plus accessibles, et notamment à sa réflexion autour de la joie et du bonheur de l’homme, propose en moins de 200 pages une nouvelle éthique pour penser et soigner ce fléau de notre temps qu’est la connerie, maladie du collectif et poison de nos vies individuelles.

«Si les philosophes n’ont jamais pris au sérieux le problème que l’on va affronter ici, c’est qu’ils se sont principalement consacrés, avec raison, à faire l’expérience des pouvoirs de l’intelligence», exprime d’entrée de jeu Rovere. Oui, il était plus que temps qu’on s’interroge sur ces polluants presque aussi menaçants que les gaz à effet de serre pour la survie de l’espèce humaine. J’ajouterais qu’avec la pluralité des tribunes désormais accessibles à tous, le con domine en étant plus visible que jamais, pour son grand plaisir, qu’importe son sexe, sa position ou son compte en banque, au bureau comme dans sa cuisine, avec ou sans pseudo.

Rien d’une psychopop

En quelques chapitres plutôt amusants, mais empreints d’une pensée rigoureuse et d’un propos éloigné de la psychologie à deux balles, je vous rassure, le philosophe, dans la jeune quarantaine, dresse une liste de comportements à adopter en présence d’un con, sans tomber soi-même dans le cynisme, voire pire, dans la connerie; bref, en gagnant peut-être ce supplément d’âme qui rend plus fort au champ de bataille de l’exaspérante hypermodernité. «Nous devons mettre en place des manières d’organiser la vie en commun qui soient les plus capables d’empêcher les jeunes humains de devenir de parfaits cons – d’autant que quel que soit leur milieu d’origine, ils sont souvent eux-mêmes filles et fils de cons. Là est l’urgence.»

Quant à leur éradication, n’y pensez même pas: «les cons s’obstinent», affirme-t-il. Sont-ils domptables? me suis-je demandé, encore naïve. «Il n’y a aucun sens à plaider la tolérance face à l’intolérance, l’esprit éclairé face à la superstition, l’ouverture d’esprit face aux préjugés.» Selon Rovere, coûte que coûte, vous devrez toute votre vie «faire avec» les cons. Autant en rire un tantinet et voir autrement leur présence en ce bas monde.

«Si nous avons un problème avec les cons, c’est donc à l’évidence que nous faisons dans cette rencontre l’expérience de nos propres limites. Ils marquent le point au-delà duquel nous ne savons plus comprendre et où nous ne pouvons plus aimer. Cela ne nous laisse que deux choix. Soit nous nous complaisons dans notre finitude, et nous adoptons l’attitude des nigauds qui préfèrent ricaner, parce qu’ils ont trouvé là le moyen de jouir de ce qu’ils ne comprennent pas. Soit nous reconnaissons la force exacte de la connerie, à savoir qu’elle se trouve dans l’effet qu’elle nous fait, à nous, et nous recourons à la force des concepts pour marcher enfin sur la tête des cons, c’est-à-dire pour devenir pas meilleurs qu’eux, mais meilleurs que nous-mêmes.»

En somme, en bon philosophe, Rovere veut nous assagir en cette ère de turpitudes. Comment refuser ce coup de pouce si ce n’est pour dompter sa rage intérieure vis-à-vis, par exemple, d’un patron qui nous demanderait de faire une entrevue avec Boris Vian (cas vécu) ou d’un collègue de travail tata qui nous enverrait une «dickpic»?

D’abord, comment tombons-nous dans leurs filets? C’est trop facile, les pièges à cons poussent comme des algues sargasses dans le Sud. Et quand il y a débordement d’émotions en présence d’un con, pouvons-nous laisser ce trop-plein se déverser? C’est très bien de le faire, mais il y a une manière de le faire, et ça, l’auteur nous l’apprend, comme il nous montre aussi comment écouter un con. Il explique qu’il faudrait plutôt lui tendre l’oreille, et ne pas répliquer, ni se justifier, ce qui consisterait à s’abaisser à son système de valeurs, comme s’il était soudain considéré. Surtout, ne jamais chercher à lui transmettre notre «vérité», il n’en a rien à faire, évidemment.

Il arrive que les cons mènent le monde

Si vous vous êtes déjà demandé pourquoi les cons gouvernaient souvent, pourquoi ils gagnaient toujours – parce que oui, ils «gagneront» toujours sur vous – ou encore pourquoi ils préféraient la destruction à la construction/création, vous adorerez la réflexion de l’auteur, qui y va aussi de quelques maximes à retenir (ou à coller sur votre porte de réfrigérateur):

«Vous n’êtes pas le prof des cons. Changez les situations, pas de personne.»

«Prenez l’initiative de paix.»

«Ne luttez pas contre l’émotion, épuisez-là.»

«Quittez la posture moralisante. Cessez de juger. Tout de suite!»

«Faites la paix et laissez-les en guerre.»

«Faites toujours valoir vos préférences. Jamais vos frustrations.»

«Soignez vos interactions et vos valeurs suivront.»

«N’imposez pas vos normes. Négociez celles des autres.»

«Sous les lois, s’il le faut. À l’air libre, toujours.»

Etc.

Contre les cons, la bataille ne sera jamais remportée. À tout perdre, au moins, à la lumière de ce titre jouissif, il restera toujours la douce possibilité de l’exil. «Ce livre est un plan d’évasion», écrivait Catherine Dorion en présentation de son brillant essai Les luttes fécondes. Je lui pique l’expression, qui colle aussi parfaitement à ce jaune essai que j’imagine comme un présage de l’arrivée imminente du soleil chaud. Que je n’entende pas un con me contredire! 

Je craque pour…

Une nouvelle voix littéraire anglo-montréalaise, qui s’appelle Frankie Barnet, vient de surgir avec un court recueil de cinq nouvelles succulentes intitulé Fille d’intérieur, une traduction du non moins talentueux William S. Messier, aux éditions de Ta Mère.

Décalées, déjantées, lucides, émouvantes, naïves et attachantes, les héroïnes de ces nouvelles jettent sans tabou un certain regard sur la vie des jeunes femmes d’aujourd’hui. C’est rassurant, finalement. Je trouve, oui.

«Tu la croises un jour lors d’un party et tu la salues du menton dans ton coin de la pièce, après tu l’évites subtilement, comme si elle était juste un gars que t’as déjà baisé dans une salle de bain quelque part.»