La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La nostalgie

Durs coups ces jours-ci pour la nostalgique en moi. Traitez-moi de matante, c’est plus fort que tout, je reste accrochée longtemps aux vieilles affaires qui m’ont fait vibrer.



En fait, c’est l’annonce la semaine dernière de la fermeture prochaine de la fameuse Boîte Noire de l’avenue du Mont-Royal qui a été la goutte qui a fait déborder le vase. C’est dans ce commerce, situé jadis avec ses deux étages sur la rue Saint-Denis juste à côté des boutiques Jacob (tiens, nostalgie encore…), que j’ai découvert Truffault avec sa saga des Antoine Doinel interprété par Jean-Pierre Léaud. J’y ai aussi fait la rencontre de l’univers des réalisatrices Agnès Jaoui, Jane Campion, Nicole Garcia et Micheline Lanctôt, que je venais de voir jouer dans La vraie nature de Bernadette de Gilles Carle avec le beau Donald Pilon et Willie Lamothe. Vous dire l’impact que ce film a et continue d’avoir sur ma propre fiction... Bien sûr, je ne saurai oublier le nombre de fois où j’appelais Martin ou Julie à La Boîte Noire pour les supplier de commander de nouveau le film anglais Under the Skin, pas le thriller de science-fiction de Jonathan Glazer avec Scarlett Johansson, mais bien celui d’une certaine Carine Adler que trop peu de gens connaissent. Le commerce ne tenait qu’une seule copie du film (était-ce un format VHS?), qu’un jour, un être certainement très désagréable n’a jamais rapportée…

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À la fin des années 90, Internet et ses services d’achats en ligne étaient pas mal restreints et insécurisants, donc je harcelais les employés pour qu’ils retrouvent le ou la coupable de cette dramatique disparition. Aussi, quand on habite au fin fond de St-Creux-des-Meu-Meu, lieu verdoyant, mais plutôt fermé culturellement, La Boîte Noire à Montréal devient l’ultime rempart à l’ignorance, une forme d’ouverture sur le monde, une autre manière d’envisager la vie et ses manières de l’observer à travers la lorgnette de d’autres plus âgés, plus matures, plus expérimentés. Bien sûr, il y avait toujours la littérature, mais sans être mieux, le septième art ne s’y compare pas pour toutes sortes de raisons qui seraient trop longues à énumérer. Il s’agit d’un petit drame, d’une mini « fin du monde » que cette fermeture qui ne m’a malheureusement pas surprise avec la multiplication des sites de visionnement en tous genres et la capacité désormais de mettre la main sur à peu près tous les gens plus inimaginables les uns que les autres. J’ai enfin pu obtenir mon fameux Under the Skin en format DVD et pleurer aux mêmes foutues séquences.

Je fais partie des tueuses silencieuses de ce commerce et je m’en veux un peu, je n’y allais pratiquement plus depuis quatre ou cinq ans. Je me demande d’ailleurs combien ils étaient à s’y rendre encore régulièrement parmi ceux qui ont fait la très très longue file en fin de semaine dernière pour mettre la main sur un film avant la tombée du rideau aux environs de la fin du mois de mai. Trop peu certainement. À l’heure qu’il est, les meilleurs titres, s’ils n’ont pas déjà été cédés à bon prix à Bibliothèque et Archives nationales du Québec ainsi qu’à la médiathèque de la Ville de Montréal, doivent tous être disparus des tablettes. Bye bye les vieux Bergman, Pasolini, Kusturica, Hitchcock et compagnie. Je sais, il faut en revenir, s’adapter aux nouvelles technologies et réalités du marché, mais c’est plus fort que moi, je reste accrochée à quelque chose qui m’échappe et j’y tiens, ça me rassure!

Madonna, please, tiens bon !

Même chose d’ailleurs pour la musique et l’hécatombe de grands disparus des derniers mois: Bowie, Prince... Les chanter à tue-tête en les sachant décédés n’aura jamais le même effet que lorsque je hurlais Let’s Dance dans le Topaz bleu de mes parents avant d’aller danser en ville. Ils vivaient toujours, dansaient leur vie, baisaient, fumaient, buvaient, ne faisaient pas leur testament parce qu’eux, comme moi, se pensaient immortels. Madonna, please, tiens bon…

Ces retours à la réalité font mal à une époque où la culture, comme pas mal d’autres affaires, s’obtient en un clic sur Internet à la vitesse de l’éclair : un album, une chanson, un film, un roman, etc. Fini la quête pour l’obtenir en allant chercher à l’extérieur de chez soi l’objet désiré qui nous ferait voir des étoiles. Fini l’effort et l’attente, l’attente pour s’en mettre plein la vue ou les oreilles. Comme c’était bon d’espérer, d’imaginer et enfin, de déguster. La nostalgique en moi préfère les préliminaires. Ça doit être aussi ça, vieillir d’un printemps.

Je craque pour…

Les salons du livre en région...

alt="salon-du-livre-de-la-cote-nord"Je rentre de quelques jours au Salon du livre de la Côte-Nord à Sept-Îles. J’y étais comme auteure. En plus de l’accueil des gens chaleureux de là-bas, du crâââbe mangé en quantité suffisante pour m’intoxiquer à l’iode, du maire Réjean Porlier qui gagnerait la palme d’or du plus curieux, ouvert et mignon d’entre tous ses homologues des autres villes, je peux vous assurer que les habitants de Sept-Îles, mais aussi des autres coins de pays visités dans le cadre de mes visites de salons, démontrent un intérêt réel et sincère pour le livre et les écrivains. Parfois, c’est bon de se le rappeler et de le souligner. Je suis touchée en plein cœur.