La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La féminisation des mots, bien plus qu’un combat féministe

Alors que féminin et masculin sont désormais égaux devant les lois de la grammaire au Montréal Campus – le journal étudiant de l’UQAM où de très nombreuses plumes québécoises ont fait leurs débuts –, le 28 février, les membres de l’Académie française se prononceront enfin en faveur de la féminisation des titres, métiers, grades et fonctions. Ces deux événements montrent à quel point la langue est en pleine mutation, ce qui est plutôt une bonne nouvelle concernant le français, dont on redoute l’extinction.



Précisons d’abord que cette nouvelle règle au Montréal Campus s’est faite par souci de féminisation, d’inclusion, d’égalité et qu’elle s’inspire des recommandations de l’Office québécois de la langue française, soit l’utilisation de termes dits épicènes (neutres ou collectifs) qui englobent le masculin et le féminin. Plutôt que d’écrire les Montréalais, on pourra donc lire dans leurs pages, «la communauté montréalaise ou les gens de Montréal».

Dans un texte paru le 13 février dans La Presse, la directrice de l’information du Montréal Campus, Camille Payant, expliquait aussi que l’accord des adjectifs et des participes passés se fait désormais à l’aide de doublets et de parenthèses, par exemple, les voyageurs et les voyageuses fatigué(e)s. J’imagine que ça pourrait aussi être la communauté voyageuse fatiguée…

Elle précisait par ailleurs que pour faire référence aux personnes non binaires, les pronoms « ille(s) » et « iel(s) » étaient priorisés. Comprenons-nous bien, cette dernière règle ne sera pas présente dans beaucoup de textes, quoique peut-être un peu plus souvent que ces dernières années. Ce n’est donc pas, à mon avis, un «caprice» de l’appliquer dans ces cas précis. Pas un «caprice», car cette modification témoigne d’une nouvelle réalité qui prendra de plus en plus de place dans la société et concerne la décision d’un journal étudiant moderne, bien de son temps et résolument représentatif de son époque. Personne n’oblige un francophone qui ne travaille pas au Montréal Campus à l’utiliser. Pas lieu de paniquer ici.

Même chose pour l’utilisation de termes épicènes, que je tente naturellement d’intégrer à mes textes. Ne pas confondre avec la fameuse écriture inclusive, qui attise les passions. Il n’est pas question d’écrire voyageur.s.e.s., étudiant.e.s. à tout bout de champ avec des points, des barres ou des tirets.

Photo: John Jennings, Unsplash

Un débat épique

Concernant le vote des fameux Immortels, incluant notre Dany Laferrière national, pour la féminisation des titres, métiers, grades et fonctions, des mots qui se retrouveront peut-être dans le dictionnaire de l’Académie française, ça fait plus de trente ans que ce débat épique anime l’institution et la Francophonie.

Par ailleurs, ce rapport sera construit en deux parties: d’abord le contexte de la rédaction, ensuite la méthode adoptée et les conclusions de l’étude, par exemple, est-ce qu’on féminise en ajoutant «e» ou «ice», comme dans l’excitant cas du mot «auteur».

Concernant cet exemple précis, l’académicienne française Dominique Bona expliquait dans Le Figaro du 20 février qu’en France, «autrice» est plutôt préféré dans le cadre universitaire tandis que «auteure» se trouve davantage dans le domaine médiatique ou dans la langue parlée. À vue de nez, c’est assez similaire au Québec aussi.

Qu’on utilise auteure ou autrice m’importe peu, pourvu qu’on féminise les titres de toutes les professions, c’est la moindre des choses, d’autant plus que c’est principalement le fait de travailler qui a donné aux femmes l’indépendance qui leur revenait.

Dans le cas du mot «auteur», déjà que de l’être n’est généralement pas payant, ne nous enlevons pas en plus la fierté de pouvoir se l’approprier pour de bon! Surtout que les femmes qui écrivent ont longtemps dû s’abstenir de le faire ou user de ruse en prenant un pseudo masculin (George Sand) ou en étant les «ghost writer» de leur monsieur (Zelda Fitzgerald). Sur Avenues.ca, la rédaction n’a pas attendu la permission de l’Aacadémie et utilise «auteure» depuis ses débuts, emboîtant le pas à un usage en cours depuis plusieurs années au Québec, mais pourrait bien adopter le «autrice». La réflexion est en cours.

L’autrice malmenée

Quoique, sachant que le mot «autrice» date de l’Antiquité et qu’il avait disparu de la langue et du dictionnaire dès les années 1800, tout comme poétesse, peintresse ou médecine, à cause de grammairiens masculinistes qui les avaient condamnés pour faire de ces professions leur chasse gardée, «autrice» semble encore plus mériter ses lettres de noblesse. Ça mérite bien une douce vengeance trois siècles plus tard. N’en déplaise à ceux qui jugent le mot «laid».

Je trouve que c’est superficiel d’évaluer ainsi la légitimité d’un mot qui camoufle un héritage aussi lourd de sens. Selon Éliane Viennot, professeure de littérature française citée dans Le Figaro en 2017, le mot «actrice» n’a pour sa part jamais été combattu puisque «cela leur semblait normal que des femmes montent sur la scène en montrant leur corps. C’était "dans la nature des femmes"».

Il ne s’agit pas ici d’une préoccupation purement féministe, mais de la possibilité de sortir enfin d’un malaise linguistique qui perdure. Non, ce n’est pas la langue française qui assurera l’égalité entre les sexes. Or, elle fait partie de la mouvance et des importantes avancées en matière d’équité et de respect auxquelles on assiste ces derniers temps et dans lesquelles le mouvement #moiaussi s’inscrit en fer de lance.

Nous en sommes là, et non, le masculin n’est plus obligé de l’emporter sur le féminin. Il peut être son égal sans qu’on doive repenser toute la langue française. La plupart des féminisations sont simples, elles vont presque de soi, en y réfléchissant bien, il s’agit de prendre l’habitude.

Qui a dit que la langue française devait rester statique et s’empoussiérer? Elle est grande et ouverte quand elle épouse les courbes de nos changements. C’est aussi par cette capacité qu’elle a de se renouveler qu’elle assure sa pérennité. Rien à voir ici avec le féminisme ou des caprices d’intellos.

Je craque pour…

Oh Boy de Louis Aguilar

C’est le lendemain de la Saint-Valentin que Louis Aguilar lançait Oh Boy, son nouvel album folk composé de 11 souvenirs tirés de son journal de bord.

L’artiste originaire de Lille, en France, que je découvre pour la première fois, donne envie de le suivre en balade jusqu’au bout du monde, avec des pièces aussi envoûtantes poétiquement que fortes et précises musicalement. Tatoueur de métier, ce cowboy des temps modernes ne perd rien pour attendre; assurément qu’il attrapera de nombreux fans au lasso.

Photo: Facebook Louis Aguilar