La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Gaétan Girouard, le géant aux pieds d’argile, raconté 25 ans après son suicide

Comme pour plusieurs, l’annonce du suicide du journaliste Gaétan Girouard, le 14 janvier 1999, m’avait bouleversée. J’étais sur les bancs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en journalisme… Le grand élégant qui avait du cran, bien sûr, je le trouvais «hot», et puis, je venais d’envoyer une demande de stage à l’émission J.E en direct, qu’il coanimait avec sa complice Jocelyne Cazin. Vingt-cinq ans plus tard, Jean-Philippe Dion revient sur cette immense perte dans Gaétan Girouard: onde de choc, documentaire percutant présenté à TVA, le 11 janvier à 21h, ainsi qu’à LCN, le 19 janvier à 20h, et qui va au-delà de la dimension biographique de l’homme.



Je dis que ce documentaire va plus loin, parce que si Dion revient sur la vie et la carrière de Girouard, il n’omet pas de scruter d’autres facettes intrinsèquement liées à sa mort; des dimensions que seul le passage du temps permet aujourd’hui de soulever avec autant d’acuité et de lucidité. D’ailleurs, la sensibilité de Dion, qui ne cache pas avoir grandi auprès d’une mère aux prises avec des troubles de santé mentale – mention généreuse qu’il aurait peut-être tue à une autre époque –, donne un caractère on ne peut plus authentique à Onde de choc. Il le fait toujours sobrement. Ça semblera peut-être superficiel pour certains, mais personnellement, quand je vois des journalistes abuser d’expressions et faciès faussement tristounets ou appuyés dans des émissions et documentaires de cet acabit, je n’y crois juste pas et ça m’irrite au plus haut point. Bref, la lumière, Dion ne l’a pas mise sur lui, mais sur les aspects les plus pertinents du sujet, dans une époque où on peut enfin parler de santé mentale, de dépression, remettre en question le travail des médias, etc.

Certes, le sujet, c’est Girouard. Girouard, l’homme, Girouard, le journaliste fougueux, ambitieux. Mais le sujet, c’est surtout la pression qu’un passionné de sa trempe s’est mise sur les épaules au point de craquer à 33 ans. Pression d’être au top, de réussir, de gagner, d’être le meilleur tout le temps. Une pression de perfectionniste qui, conjuguée au doute et à un manque de confiance en soi, a fait boule de neige jusqu’à l’anéantir. Sans compter sa peur de déplaire, de tout perdre du jour au lendemain, de ne plus trouver sa légitimité dans l’œil de l’autre. Il n’est pas le seul à qui c’est arrivé. Hélas, il y en aura d’autres aussi, et en ce sens, ce documentaire fait figure de prévention fondamentale dans un monde encore plus oppressant qu’à la fin des années 1990. Au moins, depuis, on a su faire exploser le tabou de la dépression, y compris celle des hommes.

Le sujet du documentaire, c’est surtout la pression qu’un passionné de sa trempe s’est mise sur les épaules au point de craquer à 33 ans. Photo: Gaétan Girouard @TVA Nouvelle

J’ajouterais qu’à TVA, comme dans d’autres organes de presse – j’en fus témoin et victime directe –, ça prenait une solide carapace pour passer à travers le caractère irascible de pas mal de gens en situation de pouvoir, des hommes pour la plupart. La compétition était féroce, les jobs se faisaient plus rares qu’aujourd’hui et personne ne mettait de gants blancs. Se plaindre ou avouer une «faiblesse» pouvait mener à une perte d’emploi. Depuis environ dix ans, les choses se sont heureusement améliorées en matière de climat de travail. On ne tolère plus ce qui était jadis encouragé…

Onde de choc donne aussi, bien sûr, la parole à des intervenants, collègues et proches de Girouard, comme son meilleur ami, sa sœur, son épouse et ses filles, qui ont aujourd’hui à peu près l’âge qu’avait leur père. Comment ont-ils fait après? Le mot «égoïsme» y est même prononcé. Au cœur de la maladie, bien sûr, on le sait, la conscience de l’autre devient bien secondaire. Or, c’est avant qu’il faut réagir. Jocelyne Cazin se demande jusqu’à quel point le médecin qui avait diagnostiqué une dépression sévère au journaliste-vedette quelques semaines avant son passage à l’acte est soumis au secret professionnel. La question mérite d’être soulevée.

En 1999, dans les mois qui suivirent la mort de Girouard, on dénombra au Québec une augmentation de 15% du nombre de suicides.

J’ignorais par ailleurs qu’en 1999, dans les mois qui suivirent la mort de Girouard, on dénombra au Québec une augmentation de 15% du nombre de suicides, soit 233 de plus que l’année précédente. C’est immense, et c’est à Sainte-Foy que l’augmentation avait été la plus significative. La ville où Girouard s’était enlevé la vie. Impossible d’y voir un hasard, d’autant plus que plusieurs suicidés avaient usé de la même technique pour attenter à leurs jours, certains laissant même près d’eux une photo du journaliste. Le coroner en chef avait dû intervenir pour demander aux médias de cesser de montrer la devanture de la maison, de la voiture, bref de tout ce qui donnait une touche sensationnaliste aux tragiques événements du 14 janvier. J’ignore si les médias d’information – y compris les réseaux sociaux – sauraient faire différemment en 2024. Or, Onde de choc soulève aussi cette question essentielle quant au rôle et à l’impact de nos médias dans la société québécoise.

Après le visionnement de cette émission, j’ai aussi pensé à la crise que traverse actuellement notre télévision québécoise. Je me suis dit que s’il n’y avait qu’une seule mission qu’elle ne devrait pas perdre de vue – bien au-delà du divertissement avec les dix mêmes humoristes et veudettes –, c’est bien de faire œuvre utile. Mission accomplie, donc, pour Onde de choc.

*BESOIN D’AIDE?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Vous pouvez aussi consulter le site commentparlerdusuicide.com.