La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Tolo Tolo: malgré tout, on rit en Italie

Tolo Tolo (Naïf et insensé), une comédie italienne écrite et réalisée par Checco Zalone – de son vrai nom Luca Medici – sort en salle ce premier juillet. Ce film a fracassé des records d’assistance en attirant plus de 6,6 millions de spectateurs en Europe et générant 52 millions de dollars de recettes au guichet.



«Les Italiens sont des Français de bonne humeur.» C’est de Jean Cocteau. Et débraillés. C’est ce que j’ai toujours aimé de l’Italie, son côté joliment imparfait assumé. Même sa tour de Pise penche d’un bord. Vers le sud, bien sûr... Parce que je ne m’en vante jamais assez, j’ai des racines italiennes par mon nonno maternel. Siciliennes. Bam. J’en suis très, très fière. Fouillez-moi pourquoi, je revendique mes origines de manière démesurée, comme si ça pouvait pardonner mes excès, vices, déjeuners aux pâtes, enivrements viticoles, emportements et «débraillages». J’aimerais être en couple avec une personne italienne. Même avec juste une ascendance lointaine.

À part son machisme ambiant et ses traditions conjugales rétrogrades qui tendent tout de même à s’aplanir avec les nouvelles générations, j’aime tout de ce pays. Je me pense bonne en buvant du Brio, leur «Coke» pas tellement buvable à eux, c’est tout dire. J’ai même du mal à avouer que leur pain trop dur m’énerve royalement et que les Français les dépassent de beaucoup côté pasticceria. On s’entend, à l’exception des cannolis ou du tiramisu.

L’art de la joie

Je connais un peu leur littérature «populaire» pour avoir lu Elena Ferrante, Goliarda Sapienza, Elsa Morante, Maria Messina, etc. Je cours voir les films de Paolo Sorrentino sitôt qu’ils sortent parce qu’ils me font rire et pleurer en même temps. Ça aussi, c’est la force de l’Italie, de pousser l’audace des affects jusqu’à rire même quand ça ne va pas si bien, trouver le dernier bout de verdure dans un tas d’herbes folles desséchées par la chaleur et s’y accrocher, s’en réjouir. Gioire.

Je viens de visionner Tolo Tolo (Naïf et insensé), une comédie italienne écrite et réalisée par Checco Zalone – de son vrai nom Luca Medici – qui sort en salle ce premier juillet. Un film qui a fracassé des records d’assistance en attirant plus de 6,6 millions de spectateurs en Europe et générant 52 millions de dollars de recettes au guichet. C’était avant que les cinémas italiens ne ferment le 8 mars 2020 par mesure de confinement.

Zalone, humoriste, musicien, comédien, scénariste et réalisateur italien très célèbre en Italie, sorte de version italienne de Martin Matte, a mis environ deux ou trois ans à réaliser ça, son premier long-métrage, qu’il a coécrit et dans lequel il incarne le rôle principal. Il fait aussi la bande sonore et a même remporté le prix de la meilleure musique à la 66e cérémonie des David di Donatello de 2021, diffusée en Italie par la RAI. Il y était aussi nommé dans la catégorie «Meilleur réalisateur débutant». J’écoute en ce moment même en boucle la colonna sonora originale del film.

Zalone, humoriste, musicien, comédien, scénariste et réalisateur italien très célèbre en Italie a mis environ deux ou trois ans à réaliser ce film.

Checco, donc, y joue Checco, un nouvel entrepreneur de la région des Pouilles, en Italie, qui a ouvert un restaurant de sushi dans sa ville de Spinazzola, une petite agglomération de quelque 6 200 habitants qui existe vraiment.

Le gars, il a vu grand. Ça lui a d’ailleurs un peu monté à la tête, et très vite, on comprend que c’est un mélange de gars qui a une très grande confiance en lui, qui est un peu tata sur les bords, et qui, tout en étant sensible, est un peu innocent par moment, ce genre d’innocent qui réussit toujours à tirer son épingle du jeu.

Hélas, un mois plus tard, il doit mettre la clé sous la porte et pour échapper aux collecteurs de dettes en Italie (c’est toute sa famille qui se retrouve prise avec ça). Il décide donc d’émigrer en urgence en Afrique pour éviter de devoir payer ses dettes. C’est là qu’il commence à travailler comme serveur dans un tout inclus haut de gamme. Or, au moment où il commence à s’installer dans sa nouvelle vie africaine, des terroristes attaquent la région, obligeant Checco à émigrer... ce qui l’entraîne dans un voyage ironique en tant qu’immigrant illégal en compagnie d’un ami africain intello qui rêve d’une vie glamour à l’italienne – il connaît plus l’Italie que Checco lui-même, parle même l’italien peut-être mieux que lui. Un gamin et sa maman, une femme dont il s’éprend en vain, sont aussi de la partie.

Avec les migrants

On l’accompagne dans son épopée avec des réfugiés africains qui tentent de gagner l’Europe dans un bateau de fortune. Si tous les migrants rêvent de joindre l’Italie, lui, ne veut rien savoir. Il y est attendu de pied ferme, mettons. Lui, ce qu’il aimerait, c’est immigrer au Liechtenstein pour son secret bancaire et son taux d’impôt moindre. Checco laisse percevoir d’autres aspects odieux de son personnage narcissique. Il estime que la conséquence la plus grave de cette guerre est qu’il n’arrive pas à remettre la main sur un pot de crème antirides digne de ce nom. Il manifeste aussi d’inquiétants relents de fascisme, parce que selon son analyse, «le fascisme, nous l’avons tous en nous, et de temps en temps, il ressort. Un peu comme l’herpès».

Tolo Tolo puise sa force dans le sujet très actuel de l’immigration, base de toute l’intrigue. J’ai senti que Zalone – on sent qu’il a été inspiré par Alberto Sordi, acteur, réalisateur italien mort en 2003, star de la comédie italienne, archétype du Romain avec les Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Nino Manfredi – essayait «d’éduquer» le public en montrant des personnages qui reflètent certains des pires stéréotypes et comportements italiens, ça rappelle aussi des comportements de gens d’ici.

Le film est donc plein de blagues irrévérencieuses qui visent le politiquement correct, les hypocrites, les racistes, les bienfaiteurs, les journalistes intégrés, les politiciens, les accros à la mode et les fascistes. En même temps, le sujet des migrants en provenance d’Afrique touche sans doute beaucoup plus les Européens que nous, plus éloignés, ce qui ne nous empêche pas de comprendre les dimensions des inégalités, d’en être heurtés, profondément conscientisés.

Pour ceux que l’humour de Zalone ne ferait pas rire, d’un point de vue plus sérieux et pas du tout ironique, En mer, pas de taxi de Roberto Saviano, certainement un des plus polarisants journalistes italiens, connu pour avoir dénoncé les milieux mafieux dans ses écrits, notamment le best-seller international Gomorra, dresse un portrait saisissant de la crise des migrants à travers des photos et témoignages déstabilisants et en rappelant qu’il n’y a pas une semaine qui passe sans que des clandestins ne périssent en mer. Parfois, ce sont des corps d’enfants et de bébés qui sont repêchés par les sauveteurs ou les garde-côtes des pays riverains. Selon Saviano, l’irrationnel est en train de l’emporter. Sujet spécifique, certes, mais accessible avec ces mots qui en disent long sur l’état du monde.

Du côté du célèbre réalisateur comme de celui du non pas moins célèbre journaliste, la situation des migrants y est présentée avec justesse. Deux manières tout aussi efficaces, mais qui ne rejoignent sans doute pas le même public. L’important, c’est d’embrasser le plus grand monde possible. Tous les regards et tons comptent. J’aime que l’Italie sache culturellement traiter de cette affaire hautement préoccupante à travers sa culture, que cette crise humanitaire qui n’est pas sur le point de se terminer en Italie comme ailleurs en Europe, hélas, soit intégrée aux discours artistiques comme celui de Tolo Tolo, qui laisse penser qu’on a presque tous de la chance d’être nés dans des pays normaux. Ce qu’on oublie trop souvent en voulant mieux.