La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Fermeture du Conservatoire Lasalle

Les fleurs bleues finissent par faner

«Avec le temps, va, tout s'en va… Même les plus chouettes souvenirs ça t'as une de ces gueules». C’est Mme Lebeau qui rirait en lisant ma citation nostalgique puisée dans le répertoire de Léo Ferré. Mme Lebeau était la directrice générale du Conservatoire Lassalle que je fréquentais au niveau collégial, de 1995 à 1997. Juste avant d’entrer en journalisme à l’UQAM. Ce même conservatoire dont on a annoncé la fermeture lundi dernier après 110 ans d’opération. Mme Lebeau me trouvait fleur bleue. Elle me répétait que le journalisme allait me casser ça vite fait, que la fleur bleue allait se faner, que j’allais devenir cynique, qu’il y aurait moins de poésie dans mes textes, qu’elle lisait dans le petit journal étudiant qu’on avait mis sur pied avec des camarades de classe. Le Conservatoire Lassalle, institution montréalaise privée à vocation artistique, enseignait, grâce à des professionnels œuvrant dans le milieu (Manon Lépine, Henri Bergeron, Jacques Morency, France Arbour, Sylvia Gariépy…), les arts de la scène comme le théâtre ainsi que la communication écrite, télé et radio, et surtout, le Conservatoire montrait aux jeunes à développer leur singularité, à mettre de l’avant ce que souvent on nous avait reproché ou qui avait fait naître des fous rires moqueurs à notre endroit chez les autres dans notre patelin d’origine. Je n’ai pas souvenir qu’il y ait même eu des «rejects» dans mes classes de l’ancienne école primaire Notre-Dame-de-la-Salette située au centre-ville, déménagée deux fois depuis. Là-bas, plus tu étais original ou différent des autres, plus tu gagnais des points. Dans une société où on valorise le conformisme, l’entrée dans les rangs, le troupeau de moutons, c’était rare et ça le demeure encore, vingt ans et des poussières plus tard.

Petit Nézet-Séguin deviendra grand, très grand



 alt="yannick-nezet-seguin"Au même moment où on annonçait la triste nouvelle de la fermeture de cette institution où ont étudié des Lorraine Pintal, des Janine Sutto, des Isabelle Maréchal, des Anne-Élizabeth Bossé et plusieurs autres, j’apercevais en ligne les précieuses images d’archives dans lesquelles on voit Yannick Nézet-Séguin à l’âge de 12 ans alors qu’il fait semblant de diriger un orchestre imaginaire sur des airs du Boléro de Ravel. C’était 30 ans avant qu’on le nomme, la semaine dernière, directeur musical du célèbre Metropolitan Opera de New York.

Sur ces images touchantes, Nézet-Séguin montre clairement à quel point il devait sortir du lot, peut-être même passer pour un original auprès de ses petits copains, qui préféraient jouer au ballon-chasseur pendant leur récréation que de s’imaginer, baguette en l’air, devant un public de mélomanes. Au Conservatoire, c’était rempli de Nézet-Séguin en puissance. Et ce qui me chagrine le plus aujourd’hui, c’est qu’on leur ferme la porte. Basta cette école unique avec son programme de formation hors du commun visant à former des artistes et des communicateurs.

D’après les sources officielles, les inscriptions se faisaient de plus en plus rares… S’il n’est pas trop tard, j’espère sincèrement qu’un donateur ou mécène fera virer le vent de bord le plus vite possible. Compter sur une aide gouvernementale en temps d’austérité et de coupes dans le secteur de l’éducation serait utopique, il me semble. Comme la fleur bleue en moi est restée dans les décombres du Conservatoire de l’«époque» de la fin des années 90, c’est la cynique journaliste qui vous dira que ces jeunes extravertis, créatifs ou originaux qui auraient brillé au Conservatoire peuvent désormais toujours se rabattre sur des programmes collégiaux plus généraux et impersonnels, ou troquer leurs aspirations artistiques pour des professions «raisonnables» et rationnelles dans lesquelles on leur dit qu’ils trouveront plus facilement un emploi. Parce qu’un bon job stable, bien payé avec des avantages sociaux et des possibilités d’avancement, ça rend heureux, c’est connu… Ces derniers mois, je harcelais presque l’actuel directeur des études, le communicateur Angelo Cadet, pour y donner un cours ou deux en littérature ou en communication, et transmettre ma passion aux plus jeunes, les encourager dans ce qu’ils ont de différent à présenter, ou les pousser à faire ressortir l’originalité d’une pensée ou d’un discours. Madame Lebeau avait raison, les fleurs bleues finissent par faner.

JE CRAQUE POUR…

alt-"dures-a-cuire"Le roman graphique Dures à cuire – 50 femmes hors du commun qui ont marqué l’histoire de Till Lukat, éditions Cambourakis.

Le jeune artiste anglais installé à Berlin, Till Lukat, craque pour les femmes fortes qui défoncent les portes closes avec passion et entêtement. Il a illustré et écrit 50 portraits et destinées d’héroïnes aussi différentes que Cléopâtre, Marie Curie, Margaret Hamilton, Frida Khalo, Simone de Beauvoir, Oprah Winfrey, etc. Bien que ses observations soient plutôt subjectives, on ne peut qu’admirer les trajectoires uniques de ces femmes, l’inspiration que chacune d’entre elles peut nous insuffler.