La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’infinie puissance de Yayoi Kusama

À l’heure où le numérique et le virtuel s’imposent à notre sensibilité, la Fondation PHI pour l’art contemporain présente l'exposition Dancing Lights that flew up to the universe (Un ballet de lumières envolées dans l’univers) de l'artiste d'origine japonaise Yayoi Kusama. Une expérience analogique ancrée dans notre monde... et au-delà.



Il y a de ces rencontres qui transforment un peu, beaucoup, passionnément qui nous sommes, en ce sens qu’elles ont une résonance hors du commun, à la fois secouante et puissante, au point de nous émouvoir en proposant une autre vision du monde. Ça n’arrive pas tous les jours, ni tous les ans. Je dirais même que ça ne m’était pas arrivé depuis trop longtemps, à l’extérieur des talents de la littérature d’ici et d’ailleurs. L’artiste d’origine japonaise Yayoi Kusama, 93 ans, fait cet effet à qui sait recevoir son génie, son originalité et sa vision. Présentées pour la première fois au Québec en exposition individuelle à la Fondation PHI à Montréal, ses œuvres élèvent et font toucher l’infiniment grand, ébranlent jusqu’à un certain point nos conceptions oniriques et poétiques de l’univers.

Kusama appartient à cette catégorie de nonagénaires qui ont gardé l’esprit révolutionnaire, à contre-courant, voire transgressif. La reconnaissance mondiale qu’elle a su acquérir n’était pas gagnée d’avance pour cette femme née en 1929 à Matsumoto au Japon. Plus jeune d’une fratrie de quatre enfants dans une famille plus portée sur les affaires que sur les arts, elle découvre dès son plus jeune âge que le dessin lui permet de transformer des souffrances, puis des hallucinations accablantes dont nul ne sait quoi en faire, que c’est la méthode la plus efficace et salvatrice. Parce que, oui, l’art sert aussi et surtout à ça. Les plus sensibles comprendront. Les enfants incompris aussi. Surtout ceux devenus grands. Sa démarche donne à penser – enfin – qu’il y a une place pour tous dans l’infinitude.

Photo: Claudia Larochelle

Rêver mieux

L’époque de Kusama était celle des silences et tabous liés aux troubles de santé mentale, l’époque d’un solide patriarcat japonais dans lequel les femmes devaient rester dans la domesticité silencieuse, l’époque du «tiens-toi droite, fais des petits, ne rêve pas à mieux ou à différent».

Elle, elle rêvera à autre chose, et avec sa belle tête d’originale aux idées commandées par une psyché qui ne peut pas rester sur Terre, dictée par plus grand qu’elle, Kusama a pu devenir celle qui fait qu’il y a foule partout pour voir son génie, y compris chez nous, à la formidable Fondation PHI pour l’art contemporain qui «l’accueille» pour célébrer son quinzième anniversaire.

Quel bon coup de Phoebe Greenberg, femme d’affaires qui met la culture directement à la portée du grand public, et ce, avec un souci honorable d’accessibilité! L’expo est gratuite, il faut réserver, les gens ne se peuvent plus, et je comprends pourquoi.

Yayoi Kusama, 2020. Photo par Yusuke Miyazaki © YAYOI KUSAMA
Avec l’aimable permission de David Zwirner, Ota Fine Arts et Victoria Miro

À l’heure où le numérique et le virtuel s’imposent à notre sensibilité, cette expo, Dancing Lights that flew up to the universe (Un ballet de lumières envolées dans l’univers), de celle qui depuis 1977 vit dans un hôpital psychiatrique à Tokyo où on a mis à sa disposition un atelier en plus de sa chambre, propose donc une expérience analogique ancrée dans notre monde et au-delà. Elle va au-delà de nos idées reçues, va jusqu’à proposer de nouveaux fantasmes.

Yayoi Kusama. Pumpkin (L), 2016. Bronze poli miroir, teinture et laque acrylique
© YAYOI KUSAMA
Avec l’aimable permission de David Zwirner, Ota Fine Arts et Victoria Miro

Si au premier étage de la Fondation sont exposés trois de ses fameux bronzes en forme de citrouilles qui ont joué un rôle déterminant dans son enfance, au deuxième, il y a deux nouvelles salles d’observation avec miroirs de la créatrice, ainsi qu’une salle de lecture avec chronologie de la vie et de la carrière de Kusama au troisième.

Yayoi Kusama. THE LOVE I MET IN HEAVEN, 2016. Acrylique sur toile. © YAYOI KUSAMA
Avec l’aimable permission de David Zwirner, Ota Fine Arts et Victoria Miro

Puis, à l’adresse à côté, le clou de l’expo réside dans la sélection de peintures tirées de la série My Eternal Soul (Mon âme éternelle) et dans les deux saisissantes salles de miroirs infinis (Infinity Mirrored Rooms), dont Dancing Lights that flew up to the universe (Un ballet de lumières envolées dans l’univers), qui donnent le titre à l’expo. Là, on y trouve des ampoules suspendues aux couleurs qui changent avant de s’éteindre soudainement. On s’y retrouve donc – seul – dans le noir complet jusqu’à ce que les boules se rallument, nous rappelant, à la manière «kusamesque», le cycle de la vie et de la renaissance.

Yayoi Kusama. INFINITY MIRRORED ROOM — DANCING LIGHTS THAT FLEW UP TO THE UNIVERSE, 2019. Verre miroité, bois, système d'éclairage DEL, métal et panneau en acrylique © YAYOI KUSAMA
Avec l’aimable permission de David Zwirner, Ota Fine Arts et Victoria Miro
Photo: Kerry McFate

Dans ces deux pièces aux miroirs infinis, il faut ouvrir grands les yeux, tout prendre. Le temps qui nous est alloué vu l’affluence indiscutable est de 45 secondes chacun. C’est une vision et une posture mentale nouvelle, le choc est grand. Kusama devrait rester parmi nous à longueur d’année.

Au Centre PHI

Évidemment, il y a mille autres affaires à voir cet été au Centre PHI, situé non loin de la Fondation, comme les expériences immersives Horizons VR et Marco Brambilla (Heaven’s Gate), présentées jusqu’au 24 octobre, ainsi que Inverse, le documentaire expérimental en trois tableaux de Nicolas Jenkins, présenté, lui, jusqu’au 28 août, et qui vise à questionner l’assimilation prédominante des identités 2SLGBTQIA+. Réservez vite vos places.