La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Quand des enfants écrivent une lettre à la COVID…

Ma petite sœur Sarah, qui m’a dépassée depuis longtemps, enseigne en cinquième année du primaire dans une école de la Rive-Sud de Montréal. Mordue de langue française et d’actualité, elle demande souvent à ses élèves de 10 et 11 ans de pratiquer des «joggings» d’écriture, soit de rédiger de courts textes en une vingtaine de minutes sur des sujets imposés. Exceptionnellement, dans la pratique de ces exercices, ils n’ont pas à se soucier de soigner leur orthographe. Seul le flot de leurs pensées compte, la créativité et la liberté qui en découlent. Ça donne bien sûr lieu à toutes sortes de perles.



Comme elle connaît mon amour des mots, ma fascination pour la lucidité et la sincérité touchante des enfants qui débutent en écriture, elle m’a invitée à les entendre lire le fruit de leurs œuvres. Occasion spéciale, leurs parents et grands-parents aussi étaient présents lors de cette expérience virtuelle. Cette semaine-là, les enfants avaient eu pour mandat d’écrire une lettre à la COVID-19. «Parce que depuis un an, beaucoup de décisions sont prises à leur sujet alors qu’on leur a enlevé beaucoup. Mais eux, on ne les entend pas», a déclaré Sarah en introduction de cette présentation.

Ma petite sœur Sarah, qui enseigne en cinquième année du primaire dans une école de la Rive-Sud de Montréal.

Comme un «trigger warning», expression d’avertissement à la mode ces derniers mois, dans un sourire moqueur, elle a conseillé au «public» de garder une boîte de Kleenex à proximité. C’est quand même leurs enfants qu’ils allaient entendre parler. Je n’ai aucun lien particulier avec eux, mais de voir un de ces petits éclater en sanglots dans les bras de ma sœur pendant sa lecture a eu raison de ma résistance aux larmes. D’ailleurs, je n’avais jamais vu autant de pères sangloter en même temps. Concernant les papis et mamies présents, pas de doute qu’ils allaient recevoir ça avec une certaine intensité. La plupart d’entre eux n’ont pas échangé de câlins avec leur descendance depuis un an. À 70 ou 80 ans, le temps compte plus... Aussi, leur présence dans la vie des enfants s’avère indéniable et ces quelques extraits que vous lirez – non retouchés, sauf pour l’orthographe! – témoignent du vide de leur absence dans la dernière année. J’ai donc cru bon vous partager une part de leurs sentiments, non pas pour pleurer de plus belle, mais bien pour que ces petits aussi puissent être lus en ces temps incertains.

«Que tu proviennes de chauve-souris, d’Espagne, ou d’usines, je m’en fous, tu n’aurais jamais dû naître. Je ne bois pas de bière, mais je sais tout de même que la bière Corona, personne n’en veut. Regarde le malheur que t’a créé! Nos professeurs ne voient plus nos sourires, les cours à distance, moi, je n’en peux plus. Tout le monde a perdu la tête à cause du confinement.» – Rebecca

«D’où je suis, je t’envoie plein de particules de bave et un test négatif. Adieu COVID.» – Éliane

«Tu m’as enlevé mes activités préférées: aller jouer chez mes cousines et cousins, chez mes amis, fêter Noël et Pâques, sortir à la relâche… j’espère qu’un jour tout reviendra à la normale.» – Delphine

«Les deux seuls points positifs: tu me permets d’être davantage sur mon téléphone et tu as rapproché ma petite famille.» – Olivia

«À cause de toi, même si on est heureux ou heureuses, il y a tout le temps de la tristesse dans nos cœurs. Tu nous voles des moments et notre avenir. Tu es tout petit, mais tu arrives à nous détruire.» – Charlotte

«Avant, je voyais mes grands-parents chaque semaine. Avant toi, c’était la belle vie. Tu as tué des parents, des papis et des mamies. À cause de toi, j’ai dû arrêter mon sport préféré. J’ai hâte que nous puissions recommencer la vie d’avant.» – Laurie

«À cause de toi, on peut perdre notre santé mentale, nos familles rapetissent, des membres disparaissent. Le stress et l’inquiétude apparaissent, on va devenir fous et folles dingues et il y aura des tentatives de suicide… Tu peux anéantir notre planète, mais notre amour envers les autres, jamais tu ne pourras nous l’enlever.» – Lou

«À cause de toi, mon père n’est pas revenu de son voyage. À chaque fois qu’il prenait un billet d’avion, on le reportait. Ça faisait 9 mois que je ne l’avais pas vu.» – Alexandre

«Tu as volé la vedette, tu es toujours dans les médias!» – Guillaume

«Tu as même fait mourir mon arrière-grand-père et tout le monde était vraiment triste. J’ai le goût de t’étriper et de te jeter dans la poubelle du voisin.» – Zachary

«Tu nous as fait voir ton point de vue, maintenant, à toi de voir le mien: tu m’as éloigné de mes amis et de mes grands-parents, mais tu ne pourras jamais casser notre lien. À cause de toi, me remémorer mes souvenirs me fait pleurer. » – Maxime

«Ma vie d’enfant de 10 ans a beaucoup changé depuis ton arrivée sur Terre. Je te maudis, toi et ta famille, si tu en as une… Mes parents travaillent trop comme travailleurs de la santé. Ils soignent tes victimes chaque jour. Il y a aussi des personnes à la rue.» – Anthony

«Tu as gâché un an de notre vie.» – Olivier

Carpe diem.