La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

En attendant Bojangles: «Le film n’est pas à la hauteur du roman»

En attendant Bojangles, le fabuleux roman d’Olivier Bourdeaut, a été adapté pour le grand écran par Régis Roinsard. Le film, qui met en vedette Romain Duris et Virginie Efira, vient de sortir en salle au Québec.



Ça y est. Fiston, mon dernier, est entré à la maternelle. Vos enfants ou petits-enfants aussi peut-être? «La madre gradisce teneramente e il padre prudentemente», dit le proverbe italien qui signifie «La mère aime tendrement et le père sagement». Effectivement, monstre d’amour dévorant, je n’ai aucune sagesse. Un peu plus et je m’écroulais dans la cour d’école entre le bac à sable et les jeux de marelle. Pire que son premier jour à la garderie. Sachant à quelle madre trop intense il a affaire, il me surveillait du coin de l’œil, mon p’tit blond, plus stressé par mes réactions débordantes que par sa rentrée.

J’ai attendu qu’il soit loin avant d’exploser. Quand même. Puis, j’ai repensé à En attendant Bojangles, le fabuleux roman d’Olivier Bourdeaut, adapté en bande dessinée, puis repris dans un film de Régis Roinsard qui vient de sortir en salle au Québec.

TVA Films

L’histoire est d’une originalité et, surtout, d’une lucidité épatantes, assortie d’une réflexion sur la puissance de l’imaginaire qui sauve de tout – ou presque –, du choc et de l’injonction de la réalité qui nous rattrape indubitablement tous un jour ou l’autre dans le détour, comme lors de cette rentrée scolaire à laquelle nulle n’échappe, digne représentation de ce passage dans le monde réel, honni par les fantasques parents de Gary dans cet En attendant Bojangles; des êtres interprétés par Romain Duris et Virginie Efira qui ne payent plus leurs factures, font des fêtes interminables sous le regard scrutateur de Mademoiselle Superfétatoire, leur grand oiseau exotique, passent leurs journées à lire, boire du champagne au goulot, écouter de la musique et danser surtout. Ah oui, et à sauter sur les lits et les divans.

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Voilà le topo de cette impossible vie dans laquelle le jeune Gary est plongé, en plus d’être adoré à l’infini par ce couple d’une totale immaturité, par cette mère à côté de ses pompes affectée par un trouble de santé mentale s’apparentant à la bipolarité.

Le réveil qui tue

La fuite du réel et l’invention, c’est pour éviter de faire face aux soucis dans cette fable qui montre bien, en fin de compte, que «la vie est un rêve, c’est le réveil qui tue» ou que «la seule vie qui soit passionnante est la vie imaginaire». C’est de la grande Virginia Woolf, qui écrivait dans sa «Chambre à soi» pour ne pas s’effondrer. Comme la maman de Gary, tout l’y mènera, hélas…

Le Gary d’En attendant Bojangles est cet enfant qui sommeille en chacun de nous et qui voudrait encore jouer, se rouler dans l’imaginaire sans se soucier des responsabilités qui reviennent chaque année à la fin de l’été.

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Le film n’est pas à la hauteur du roman; trop caricatural, quasi grotesque par moment. Même Duris a l’air de se demander ce qu’il fait là à tenter de sauver cette fiction qui réussit quand même à nous tirer quelques larmes avec son effet «la vita è bella». À trop vouloir préserver les petits du monde des grands, tout peut arriver, à commencer par l’impermanente joie guillerette.

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La rentrée, c’est donc ce choc du réel avec l’arrivée des exigences, l’appel à la conformité dès le saut du lit à heure fixe du lundi au vendredi, devoir joindre les rangs, suivre une file en silence, s’asseoir à sa place, regarder devant, écouter, apprendre et tenter de réussir ce qu’on demande, performer autant que faire se peut pour des années et des années à venir, avant d’entrer sur le marché du travail, jungle du réel fatras.

Mon tableau est rustre, certes, je pourrais, si je n’étais pas de mauvaise foi, me souvenir de ses amis qu’on découvre, des jeux dans la cour, des apprentissages stimulants, des collations partagées, des premiers émois sentimentaux, de, surtout, cette coquine satisfaction en dérogeant aux règles, et tant mieux si c’est avec la complicité d’un autre mouton noir du même acabit que soi, en évitant soigneusement de se faire prendre…

Tenez, c’est ce que je ferai. J’apprendrai à fiston, mère indigne mais lucide, à contourner parfois les petites règles – avec élégance –  pour se hisser hors des flots quand le quotidien devient trop hostile. Ça, on ne l’apprend pas en classe. Beaucoup dans les livres comme dans En attendant Bojangles de Bourdeaut. Bonne rentrée.

P.S. Je songe à aller chercher fiston avant la fin de sa journée pour l’amener manger une glace et faire des jeux dans l’eau. Ah non, il n’est plus à la garderie. Voyez comme le réel est brutal.