La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Écrivaines et boxeuses, le nécessaire combat

«Notre époque est celle de la parité en politique, du moins comme idéal à atteindre. À quand la parité culturelle?», demandait le 30 janvier dernier, dans la page Opinion de La Presse, Lori Saint-Martin, écrivaine et professeure de littérature à l’UQAM. Elle visait plus particulièrement le milieu littéraire, parce que oui, on a récemment décrié (et tant mieux!) le sexisme en cinéma, au théâtre, dans la BD, en humour, etc., et peut-être moins celui du milieu de la littérature, discipline qui, par ailleurs, je le rappelle, demeure loin d’être la mieux rémunérée, toutes sphères artistiques confondues.

Pour appuyer son constat de sexisme persistant dans le monde des lettres, la professeure a fait ses devoirs à l’automne 2015 en étudiant le cahier des livres de six quotidiens de cinq pays, dont le nôtre, ainsi que quelques magazines littéraires. Résultat: les écrivaines sont de manière générale sous-représentées par rapport aux écrivains, sans compter que ces derniers occupent des articles plus longs, ont droit à des photos plus nombreuses ou plus imposantes. De plus, quand il s’agit de faire référence aux classiques de la littérature, ce sont les hommes qui sont presque exclusivement cités. Si j’ai été vexée, voire choquée par les conclusions de son enquête, je n’ai pas été surprise, malheureusement.

«Pendant des siècles, être femme et écrire fut un combat extrême. […] Qu’une femme fût auteure, productrice d’imaginaire, fécondeuse de mondes non réels était, à proprement parler, intolérable et inenvisageable, nous rappelle Laure Adler dans l’ouvrage Les femmes qui écrivent vivent dangereusement. Elles écrivent parce qu’elles en éprouvent la nécessité. Elles écrivent non parce qu’elles sont femmes mais parce que leur instrument, c’est la langue.»

L’intime tabou

Active dans les médias couvrant les actualités littéraires et moi-même auteure publiée qui donne surtout dans l’écriture de l’intime, j’observe par ailleurs que plusieurs commentaires, critiques ou recensions, quand il s’agit de décrire le nouvel opus d’un homme qui écrit sur ses relations humaines, son intimité ou ses émotions, saluent l’ouverture, la sensibilité et la générosité du propos de l’auteur, voire son originalité… Or, le plus plus souvent, quand une femme le fait – qu’on aime ou pas le genre –, on l’accuse pour sa part de s’adonner à une dissection malaisante de ses tripes, comme si l’autofiction ou le récit, dans la cour des femmes, était perçu comme vulgaire, narcissique, léger et de moindre valeur par rapport aux textes plus intimes des hommes. Néanmoins, tous sexes confondus, la fiction plus «pure» reste, depuis toujours, considérée comme de la grande littérature en comparaison à celle du ressenti et de l’introspection. Ça me fait un peu sourire en repensant à Virginia Woolf qui clamait que «Si vous ne dites pas la vérité sur vous-même, vous ne pourrez pas la dire sur les autres.»

Ainsi, je me fais un «devoir» – et un plaisir évident – de mettre de l’avant la plume des femmes d’ici et d’ailleurs dans les médias, non pas par souci de parité, mais parce qu’il m’est tout naturel de le faire. Recevant d’ailleurs en service de presse, à titre de journaliste, autant de livres écrits par des hommes que par des femmes, je constate l’excellence de l’écriture de ces dernières et l’importance des sujets qu’elles traitent. En attendant une réelle parité ou, du moins, un début de débat sur la question fort pertinente soulevée par Lori Saint-Martin, je vous inviterais à prendre connaissance de quelques titres qui valent le détour. Oh oui, il s’agit de livres écrits par des femmes. Est-ce vraiment nécessaire de le préciser? Encore?

alt="mon-age-est-a-inventer-genevieve-st-germain"Mon âge est à inventer, Geneviève St-Germain, éd. La Presse (en librairie le 8 février)

Mon âge est à inventer est le troisième livre de la journaliste et chroniqueuse Geneviève St-Germain, chez qui l’élégance semble innée jusqu’à travers sa plume; à la fois pertinente, acérée et drôle aussi, lorsque vient le temps de s’exprimer avec franchise sur le monde tel qu’elle l’observe. Livre de chevet à méditer pour se sentir comprise, pour rire de soi (et des autres un peu!), pour grandir accompagnée d’une grande «sœur cosmique» à qui j’aurais des avis à demander sur plein d’affaires de journaliste, de femme, d’amante, d’amoureuse, d’amie, de combattante… Parce qu’on vieillit toutes toutes toutes et qu’il vaut mieux être un peu équipée pour veiller tard tard tard!

Choir, Rosalie Lavoie, éd. Leméac

alt="Choir-rosalie-lavoie"J’ai lu le court roman Choir lors de mes dernières vacances au Mexique sur le conseil de mon éditrice, ne pensant pas que ça allait m’ébranler de la sorte… Choir, c’est le cri à la première personne d’une jeune adulte qui se souvient de l’inceste, qui l’entremêle avec l’amour, le désamour, avec ces écueils qui forment avant le temps les grandes filles. Choir, c’est aussi l’auteure de ce deuxième roman, une Rosalie Lavoie en pleine possession de ses moyens, s’exprimant dans une langue à la fois crue et somptueuse, comme une souveraine moderne qui n’a pas dit son dernier mot. On n’en sort pas tellement indemne, mais ce qui ébranle rend plus fort, que je me dis en paraphrasant Nietzsche. Comme lecteur et humain.

Nos attentats domiciles, Catherine Poulin, éd. l’Hexagone

Je n’avais pas eu le temps vous informer de ce recueil de poésie d’une efficacité redoutable et qui a trop peu fait de bruit, alors qu’il en aurait mérité de par la force de la métaphore au cœur de l’œuvre: les rénovations d’une maison… ou d’un corps habitable. En prenant conscience de la demeure, Catherine Poulin dépoussière, aménage, bricole, installe, configure, ôte, soude tout ce qui est bancal pour faire jaillir une forme de matière brute de ces décors. Allons voir plus loin, dans les coulisses de soi-même, que la poète semble nous dire…

Je craque pour…

alt="franz-dora-la-petite-fille-et-la-poupee"L’album illustré Franz, Dora, la petite fille et sa poupée, de Didier Lévy, Tiziana Romanin, éd. Sarbacane.

Bien sûr qu’il s’agit d’un livre pour les petits, le genre d’histoire qu’on leur lit avant le dodo et en même temps pour se faire plaisir, tellement on est séduit, nous aussi comme adulte. Il s’agit d’une histoire qui est arrivée au célèbre écrivain de La Métamorphose, Franz Kafka qui, avec sa douce Dora, a croisé un jour une petite fille qui avait perdu sa poupée. Voyez de quelle manière l’auteur a réagi pour consoler la fillette… Du sublime sublime.