La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Donnez-leur, donnez-leur de l’oxygène…

Une amie enseignante me racontait que dans sa classe de 25 élèves, depuis le mois de mars, les parents de cinq d’entre eux s’étaient divorcés ou séparés. Je le remarque aussi autour de moi, ça barde fort. La COVID s’attaque aussi aux entrailles de l’amour conjugal, entre autres, en privant les couples et familles d’oxygène. Même s’il n’y a pas encore de statistiques officielles sur le phénomène, les spécialistes s’entendent tous pour dire qu’il y a eu une nette augmentation des séparations depuis un an.



Les fondations des couples ont donc besoin d’être solides en sapristi – ou le vin très bon – pour qu’ils résistent aux soubresauts de la pandémie, aux effets de l’isolement, au manque d’air, à l’absence de soupape. Les soupapes. Ne jamais sous-estimer dans une union les bienfaits des virées entre amis au bar du coin, les voyages en solo, les cours de danse du jeudi soir, la drague sans conséquence… Ouf. Quand tout ça nous est enlevé, remplacé par un couvre-visage double-épaisseur pour aller au parc avant de revenir travailler dans un bureau collé-collé sur celui du conjoint dont les réunions Zoom sont aussi endormantes qu’avaler un Ativan au son de la flûte de pan de Zamfir, quand le bruit de sa respiration devient même un irritant plus puissant que le moteur d’une tondeuse à gazon un dimanche matin, ça craint, comme disent les Français.

Je tombe peut-être des nues, mais j’ignorais l’existence des divorce hotels, ces fameux hôtels répartis à travers le monde vers lesquels les couples en mal de vivre se rendent pour une fin de semaine et au sortir de laquelle ils en ressortent officiellement divorcés; papiers signés, affaires réglées, planifiées, orchestrées par une équipe de notaires, médiateurs, avocats, etc. Merci, bonsoir, buonas noches mi amor, pour citer Michel Louvain, dont j’ose espérer que le décès n’est pas le présage de la fin d’une époque amoureuse de «conjugalité radieuse».

Un hôtel au bord des larmes

Je ne crois pas que ce service accéléré doux-amer, certainement pas accessible à toutes les bourses, on imagine bien, existe ici. Or, après mon souhait de voir revivre la bibliothèque Saint-Sulpice de la rue Saint-Denis, voilà que j’en appelle à la mise sur pied ici de centres de villégiature dédiés aux séparations et divorces pour faciliter la vie des couples qui ne fonctionnent plus. Dans l’attente d’une pareille innovation ou comme mesure incitative, je ne pouvais pas ne pas vous informer de la récente parution du roman qui m’a donné l’idée de ce sujet: Hôtel du bord des larmes (éd. Mialet-Barrault) de la Française Elsa Flageul qui, comme moi, je présume, a été fascinée par le phénomène hôtelier.

 

En un peu moins de 200 pages bien ficelées, elle raconte donc la fin de semaine de séparation dans un divorce hotel de Cécile et François, qui veulent en finir avec le début de l’été et faire le tout dans les règles de l’art, histoire d’épargner leur fille unique. «De ça on ne parle pas: du chagrin d’amour, de cette douleur, on ne dit presque rien. Les futurs divorcés savent pourtant qu’il y aura un avocat et un notaire pour les papiers, un brocanteur même s’il le faut, qu’ils dormiront bien entendu dans des chambres séparées, qu’ils pourront s’ils le désirent ne croiser personne, que les enfants ne sont pas admis, question de protection de l’enfance. […] De tout on peut sortir plus fort, plus grand, plus entier, plus soi. On part du principe que le chagrin d’amour, mais il en est de même pour n’importe quelle épreuve de la vie, passe. Qu’il forge le caractère.»

Ce roman ne sauvera pas le couple de personne, mais je ne pense pas me tromper en y voyant une histoire qui ressemble à tant d’autres, une histoire qui met le doigt sur les grandes failles, qui met même la table pour un renouveau.