La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Culture: des dirigeantes d’exception en fin de mandat

Il y a quelques jours, sur ses réseaux sociaux, mon estimé collègue Claude Deschênes soulignait la vague de départs prochaine ou récente de quelques piliers à la tête d’entreprises majeures du monde culturel québécois. La dernière en lice: Madeleine Carreau, qui quittera son poste de directrice générale de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) à la fin juin.



Lorraine Pintal, du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), Ginette Noiseux, du Théâtre Espace Go, Suzanne Sauvage, du Musée McCord, s’ajoutent à cette liste, sans oublier Francine Lelièvre, du Musée Pointe-à-Callière qui partait en 2020, ainsi que Monique Savoie, de la Société des arts technologiques (SAT) et Danièle de Fontenay, de l'Usine C, qui partaient en 2021.

Photo: Facebook Conservatoire de musique et d'art dramatique du Québec

Selon une étude récente réalisée par le cabinet Heidrick & Struggles, citée par la communauté mondiale de leadership des chefs d’entreprise extraordinaires (de l’anglais YPO, pour Young Presidents’ Organization), seuls 5% des directeurs généraux dans le monde sont des femmes. On ne réalise pas tant l’exception, vue de chez nous…

Une même génération de femmes à la fois fortes et sensibles à partir, donc. Élégantes aussi, novatrices à souhait et intelligentes sans bon sens. Parfaites? Certainement pas. Mais assurément capables de faire confiance, de reconnaître les forces des membres de leur troupe, de rester pertinentes. Sinon, elles n’auraient pas fait si long feu dans une industrie culturelle en proie à des transformations technologiques, aux soubresauts de l’économie, à des changements de publics et de créateurs, aux tendances, aux heures incertaines de la pandémie, bien sûr, et j’en passe…

Je parle surtout de Carreau, Pintal et Noiseux, que j’ai mieux «connues» que les autres dans mes premières années comme journaliste dans la salle des nouvelles du Journal de Montréal au début des années 2000. J’étais une toute jeune reporter, inexpérimentée et peu confiante, à une époque qui pouvait être plus rude qu’aujourd’hui côté relations interpersonnelles, mettons. Avec plus de dirigeants masculins aussi. Et une autre culture du respect de l’autre. Disons ça comme ça. On dirait que ça fait mille ans, mais non… Elles n’ont jamais montré de condescendance à mon endroit, là où d’autres l’ont fait. Au contraire, même. Je me souviens d’égalité et de soutien.

Madeleine Carreau a traversé presque un quart de siècle à la tête de l’OSM. Photo: Facebook Orchestre symphonique de Montréal - OSM

Quant à leurs apports concrets, pour ne parler que de Carreau, qui a traversé presque un quart de siècle à la tête de l’OSM, partageant la barre avec Charles Dutoit, Kent Nagano et Rafael Payare, les legs sont innombrables. Elle a trimé dur pour que Montréal soit enfin dotée d’une salle de concert à la hauteur des deux grands orchestres montréalais. Résultat: la Maison symphonique est un joyau incontestable dont on peut être fiers.

En parlant de ces timonières, Claude Deschênes écrivait aussi que leurs successeurs auraient de «grandes chaussures à remplir». Oh oui! Parlons-en, de ces chaussures. Elles (ou ils) devront savoir en porter plusieurs, d’ailleurs. Tantôt des escarpins, tantôt des bottes à cap d’acier, entre les deux; des baskets pour courir d’une place à l’autre, être partout en même temps, réagir vite, prendre les meilleures décisions, savoir flairer les besoins des auditoires changeants. Jamais de pantoufles. Qui peut se permettre de rouler sur le pilote automatique avec de telles fonctions?

J’ai hâte de voir la suite. Ça aura une incidence sur beaucoup d’affaires, souvent imperceptibles à l’œil nu. Tangibles sur le long terme. Il en va de notre culture nationale, de notre identité québécoise. On n’a pas le luxe de s’en passer. Merci, et bonne suite à ces grandes qui cèdent leur place.